mardi 11 novembre 2008

Moïra (Teaser)

Un extrait plus lointain de Moïra. Je n'avais pas prévu de le faire, au début, mais bon... Il a l'air de bien s'intégrer.

Il ne faisait jamais réellement noir dans la chambre. Les yeux de Moira s’ouvrirent pour rencontrer les traits rouges du réveil. Dans son demi-sommeil, elle pouvait presque les sentir sur sa peau, la tatouant d’un sinistre 2:12 le long du visage. Dans le lit de l’autre côté de la chambre, Claire dormait profondément. Ce n’était donc pas elle qui l’avait réveillé, mais bien la douleur. Elle irradiait à la limite de sa vision. Un fin trait de souffrance rouge au coin de l’œil gauche, singé ironiquement par la lumière du réveil sur son profil droit. Elle avait dû s’égratigner dans son sommeil. Il était impossible que la cicatrice lui faire encore mal, tant de temps après. Et pourtant, la fine ligne semblait creuser les profondeurs de ses chairs pour s’inscrire dans son os. Moïra pouvait la sentir brûler sous ses doigts. La légère protubérance du tissu cicatriciel. Elle n’avait jamais eu de nouveau mal à la joue, là où la Brute l’avait frappée. Mais le fin trait que sa branche de lunette avait gravé dans sa peau en sautant sous le choc était devenu pour elle la marque au fer rouge de sa douleur cachée.

Moïra (Partie 2)

Les pas de La Brute s’éloignèrent en direction de la cuisine, ignorants de la présence de Moïra. Elle se dépêcha de remonter le couloir. Elle devait avoir perdu une minute entière. Heureusement, elle avait préparé ses affaires la veille et le rituel lui permettait de gagner du temps. D’abord elle mettait ses chaussettes, puis sa culotte et son pantalon. Ensuite, elle enlevait ses mains des manches de la chemise de nuit et du pull qu’elle portait au dessus, et mettait son soutien-gorge sans les enlever. Quand elle n’avait plus le choix, elle frissonnait dans la pénombre de la chambre le temps qu’elle arrive à enfiler son T-shirt et son pull pour la journée. Il était 6h45. Il lui restait juste cinq minutes. Le halo jaune de sa lampe de chevet dessinait les limites de son petit monde. Elle y avait coincé tout ce qui était important, caché entre le lit et l’étagère. Cyrano de Bergerac, une peluche en forme d’ours clown que les mamans lui avaient offerte il y a longtemps. Chacun avait la sienne. Celle de Moïra était jaune. C’était loin d’être sa couleur préférée, mais Cendrine avait eu la bleue. Et puis, avec le temps, elle s’y était attachée. Enfin, il y avait sa brosse. Au premier abord, elle était laide. Ce n’était pas une de ces petites brosses ovales aux couleurs pastelles qu’on trouve sur les tables de nuit des petites filles sages et des poupées. C’était une grosse brosse rectangulaire et noire. Et c’était peut-être aussi l’attention la plus précieuse qu’elle avait reçu de la part de La Brute.
Au début, quand elle avait commencé à se laisser pousser les cheveux, Moïra avait « emprunté » la brosse de Cendrine. Après tout, elle se les était coupés, alors elle n’en avait plus besoin. Et puis avec le temps, la brosse avait fini par se casser irrémédiablement, malgré toutes ses précautions. Moïra avait alors rassemblé tout son courage, et le soir, en rentrant des cours, elle était entrée dans le salon, et avait demandé à ce qu’on lui en rachète une. Le samedi suivant, La Brute était entré en coup de vent dans la chambre et avait lancé quelque chose sur son lit, en lui reprochant ses caprices incessants. C’était la brosse. Moïra y repensait chaque fois qu’elle la passait dans ses cheveux. La Brute avait beau eu l’attaquer et la moquer, elle lui avait quand même choisi une brosse solide et pratique. Moïra voulait y voir une preuve une preuve de bonne volonté de sa part. Une reconnaissance de ses besoins, peut-être.
Il était l’heure. Moïra attacha sa pince, attrapa son sac, et fila dans le couloir. Elle le tenait serré contre elle, pour éviter qu’il touche quoi que ce soit. Même maintenant, il fallait faire attention à ne pas faire de bruit, passer en fantôme, sans se faire remarquer. La porte de la salle de bains était ouverte. Moira pouvait entendre le bruit de la douche. La Brute ne la verrait pas. Elle se hâta jusqu’au placard de l’entrée. Encore un peu et elle serait dehors. La Brute avait encore bougé ses chaussures. Elles n’étaient plus dans l’étagère où elle les avait laissées, mais par terre, à la merci des chats. En hauteur, les baskets de la brute trônaient. Il était temps qu’elle sorte. De plus, la porte anti vol était un challenge particulièrement difficile. Surtout si La Brute était dans les alentours. Il fallait maintenir le penne en position ouverte en appuyant avec la clé, et contenir la porte, qui avait tendance à se refermer en claquant pour que personne ne soit dérangé. Naturellement, Maman et La Brute laissaient la porte claquer quand elles partaient. Mais Moïra n’avait pas le droit. Ca lui prenait presque une minute entière tous les matins. Malgré tous ses efforts, le résultat dépendait du bon vouloir de La Brute. La sortie la plus silencieuse au monde n’aurait pas grâce à ses yeux si elle était de mauvaise humeur. Le truc, c’était de ne pas respirer, et d’amortir doucement le mouvement avec les deux mains Voilà qui était fait, la porte s’était posée avec délicatesse sur son chambranle. Elle espérait que ce serait suffisant.
Moïra ne prenait jamais l’ascenseur. Officiellement parce qu’il s’agissait d’une affreuse boîte à sardine de 80cm de profondeur pour 1m de large où toute personne sensée se sentait étouffer. Officieusement, elle avait rendez-vous avez elle-même dans les escaliers. Les sept étages offraient un terrain parfait. Les marches tournaient à un rythme régulier. Accroché à la rampe, son corps savait ce qu’il avait à faire. Eva n’avait qu’à allumer la lumière et à se laisser descendre. Pendant la précieuse minute et quelques secondes qu’elle mettait à atteindre le rez-de-chaussée, elle pouvait rejoindre ses rêves. Où s’en était-elle arrêtée la veille déjà ? Avait-elle repris la trame d’un comics pour s’endormir ? Ou alors elle avait refait Cyrano de Bergerac ? Non, elle avait pris le monde de Terrabhin. Son préféré, en ce moment. La scène était fixée, son corps se lança. Dans le dortoir d’une auberge de Torïnd des voix se faisaient entendre.

Moïra (Partie 1)

Et me voilà à jour sur Seuils...
Comme mettre des images ici est un peu dur, je vais me concentrer sur les histoires.
Voici donc un autre projet (dont j'avais mis un extrait plus bas)
Pour le moment, le nom de code est Moïra, faute d'une meilleure idée.


Le réveil affichait 6h29. Ses trait rouges étaient la seule lumière de la pièce à l'exception de la multiprise orange en dessous du lit de Claire. La chambre se trouvait ainsi parée d'un masque d'épouvante, les faibles lumières la rhabillant aux couleurs d'un enfer confortable. Moïra se retourna dans le lit. D'abord, allumer la lumière. Depuis sa couette, Claire grogna pour protester contre l'arrivée de la clarté douloureuse. Ensuite, s'asseoir sur le lit et enfiler ses chaussons. Hier soir, elle les avaient laissés juste devant l'emplacement où elle s'asseyait. Le gauche avant le droit. Toujours le gauche avant le droit. Elle avait établit des règles strictes pour empêcher le fragile bien-être du réveil de s'évaporer trop vite. Ensuite, il fallait sortir de la chambre, et remonter le couloir étroit. Il faisait un mètre de large, mais l'accumulation des objets entassés sur le côté le rendait dangereux et difficilement praticable. Elle devait faire vite, il était déjà 6h30. La peau de son dos râpait le papier du mur. Il fallait espérer que ça ne réveille personne. La porte, enfin ou hélas. La poignée s'abaissa avec une lenteur infinie. Maintenant, il fallait faire attention. Bien refermer la porte en amortissant avec sa main, pour étouffer au maximum le bruit du bois. Ensuite, la règle était claire : traverser en trois pas le couloir de l'entrée et rentrer dans la cuisine sans faire de bruit. Mais en passant, Moïra ne pouvait jamais s'empêcher de lancer un regard inquiet à la porte vitrée. Normalement, elle avait encore un quart d'heure. Mais on ne sait jamais. La Brute était peut-être déjà levée. Aucun mouvement derrière les verres dépolis. Elle se glissa jusqu'à la porte de la cuisine et la referma aussi doucement que celle du couloir. Elle était toujours très inquiète dès qu'elle quittait la partie de l'appartement dévolue aux enfants. Ce territoire appartenait aux mamans, et Moïra savait qu'elle y était seulement tolérée à certains moments de la journée. Y entrer, c'était s'exposer. Chaque matin. Elle devait faire vite. Ici aussi, elle avait mis au point des règles. Elle devait optimiser son temps. D'abord mettre l'eau pour le thé à chauffer et les tartines dans le grille pain. Pendant ce temps, prendre le jus multvitaminé dans le frigo et en remplir le verre jusqu'au trait. Puis le boire cul sec et remettre la brique à sa place. Si elle était assez rapide, elle en profitait pour mettre le verre dans le lave vaisselle ou le laver si la machine était pleine. Le micro onde sonnait. Elle sortit sa tasse et plongeait le sachet de thé dedans, puis retournait chercher les tartines dans le même mouvement. Pendant ce temps, elle dilatait ses oreilles dans le silence de l'appartement pour repérer le moindre bruit. A la seule pensée que la porte du salon pouvait s'ouvrir, elle sentait son estomac se tordre d'inquiétude. Alors elle essayait de détourner son attention sur de petites choses, comme les inscriptions sur le pot de Nutella que Maman avait sortit pour quand Rémy se réveillerait. Il y avait un stickers représentant un joueur de foot qu'elle ne connaissait pas en cadeau à l'intérieur. Tout en lisant, elle trempait ses tartines dans le thé trop amer. Elle mangeait toujours ses tartines de la même façon. D'abord les bords marrons, puis elle pliait la mie en quatre et mâchait chaque bouchée avec soin. Le pain avait, sous la dorure du grille pain, une consistance pâteuse, qui, malgré tous ses efforts, lui plombait l'estomac une fois ingéré. Elle ne sentait toujours nauséeuse en finissant son petit-déjeuner, mais elle n'avait pas le temps de s'y appesantir. La pendule ronde de la cuisine affichait 6h40, elle n'avait plus de temps. Elle se dépêchait d'effacer ses traces, nettoyant son bol et traquant tout indice qui aurait pu donner à penser qu'elle était venue. La porte du salon s'était ouverte et refermée. Puis celle des toilettes. C'était le moment de regagner la sécurité relative de la chambre. Elle se glissait dans le couloir, essayant d'étouffer au maximum le chuintement de ses chaussons sur le sol. La chasse d'eau retentit comme un gong. Elle sauta vers la porte du couloir. La poignée tourna dans sa main crispée, mais doucement. Elle avait beau sentir l'urgence, elle devait rester silencieuse. Une raie de lumière venant des toilettes inonda bientôt la porte du couloir fermée. Elle l'avait échappé belle.

Seuils (partie 7)

L’escouade était en train de quitter la rue du point du jour. Ils étaient presque arrivés. Il fallait encore remonter l’avenue sur toute sa longueur en longeant la seconde moitié des rails et prendre la fin de la rue de la Marioule. Autant dire presque rien au regard du parcours total. Mais la foule se faisait plus compacte. Les férens se massaient, comme s’ils attendaient quelque chose. Le chef de patrouille les avait sommés de s’écarter. Ils n’avaient pas bougé. Hervann nota que la foule était maintenant essentiellement composée de férens âgés. Il n’y avait aucun enfant parmi eux, et très peu de jeunes adultes. Les cris épars et les insultes avaient fait place à un silence de mort. Et les férens continuaient à dévisager les membres de la patrouille tout en se massant au centre de la rue, les empêchant d’aller plus avant. Les choses s'emballèrent quand le clocher de la place aux ânes commença à sonner les douze coups de minuit. Le chef de patrouille voulut repousser le féren le plus proche de lui avec son bâton. Hervann et Théophile, qui marchaient juste derrière lui, l’attrapèrent chacun par un bras en une tentative désespérée pour le retenir. Il commença à se débattre. Les pieds d’Hervann dérapaient sur les pavés, il lui était impossible d’assurer sa prise. Il cria au vieux féren de se mettre à l’abri, mais il ne bougea pas. Soudain, le poing gauche du chef surgit juste devant le visage d’Hervann et percuta son œil droit, l'envoyant rouler à terre. Sa tête cogna durement le sol. Il eût un instant l’impression que l’intérieur de son crâne explosait, avant de comprendre qu’en réalité, c’était le monde qui partait en morceaux. Ses oreilles tintaient, et il n’était pas vraiment sûr de savoir où se situait le haut. Les gens criaient. Les gouttes de pluie étaient devenues acérées et frappaient le sol avec un son cristallin. Hervann sentit quelqu’un tomber à côté de lui avec un bruit mou de chiffon. Tant bien que mal, il arriva à se relever. La plupart des ferens et des membres de l’escouade étaient à terre. Des morceaux de verre jonchaient le sol. Hervann esquissa quelques pas tremblants pour s’approcher du coin de la rue. C’était un spectacle étrange. La mine, tout en bas, était illuminée de trainées oranges et jaunes, qui déchiraient le ciel nocturne. La corne ne tarda pas à retentir, appelant les volontaires pour juguler l’incendie. Les fenêtres avaient été soufflées sur toute la longueur de l’avenue, et sans doute dans les rues adjacentes. D’autres langues de flammes apparaissent, plus proches. Hervann baissa les yeux et s’aperçu que les rails du ferry étaient désormais tordus. Ils s’étaient soulevés des pavés comme des serpents en colère, et se retrouvaient maintenant figés en plein mouvement. Des bougies s’allumaient derrière les fenêtres. Des portes claquaient, des gens se précipitaient jusqu’aux réservoirs d’eau, et Hervann se sentait juste incapable de comprendre ce qui s’était passé. Toujours tremblant, il commença à avancer dans l’avenue, puis se mit tant bien que mal à courir.

Seuils (partie 6)

Ce soir là, les choses avaient commencé à se gâter dès qu’ils avaient quitté la place aux ânes. Rien de bien dangereux. Surtout des jeunes. Les insultes volaient bas, mais au moins, elles ne blessaient personnes. La petite escouade avançait serrée. Les bâtons étaient rangés. D’après les témoignages de l’équipe de la veille, la patrouille avait avancé jusqu’à la rue du Ferry. Et puis un féren avait bousculé Jocelyn. Ce n’était pas grand-chose, mais ils étaient encerclés par des jeunes en train de les huer. Il avait paniqué et sorti son bâton. L’instant d’après, les pierres et les ardoises pleuvaient depuis les toits. Un vrai miracle qu’une seule personne ait été touchée. Et nuit après nuit, la scène se répêtait à quelques variations près. Hervann juste derrière le chef d’escouade, essayant de surveiller son dos en même temps que le bout de la rue. Téophile, à sa gauche, semblait au moins aussi anxieux que lui, et ses yeux sautaient de toit en toit, guettant les ardoises prêtes à fondre sur eux. La pluie ruisselait sur les pavés, les transformant en autant de pièges pour les bottes des agents. Pourtant, malgré l’averse, il y avait encore beaucoup de monde, dehors. De jeunes férens. Il aurait été plus rassurant de les croire ivres, mais la plupart de l’étaient pas. Ils étaient immobiles, à regarder la patrouille passer. Devant et derrière, les insultes éclataient comme des feux d’artifice. Mais dès que la patrouille arrivait à la hauteur des insulteurs, ils se taisaient, et regardaient passer les agents dans un silence bien plus menaçant que les quolibets. Comme s’ils n’attendaient qu’une étincelle pour exploser. Hervann se demanda s’ils savaient que Jocelyn était mort. Les rues se faisaient plus étroites et plus sombres au fur et à mesure qu'ils avançaient, Hervann se sentait oppressé, comme pris au piège. Les visages des férens se détachaient dans la pénombre, la pâleur de leur peau ressortait encore davantage sous la lumière des becs de gaz. On aurait dit les spectres des légendes regardant des damnés passer le fleuve pour être jugés.
Hervann essayait de garder la tête haute. Le divisionnaire l’avait assez répété. Ils incarnaient l’autorité, pour tous, qu’ils soient humains ou Ferens. Il ne fallait pas donner de signe de faiblesse, ou ils se jetteraient à la curée. Le policier était haï de tous et c’était cela qui garantissait son équité. Malheureusement, comme il s’agissait d’une profession interdite aux férens, l’équité en question était en réalité gravement compromise. Beaucoup de policiers pensaient aux féren comme à des sous-humains. D’ailleurs, plusieurs de ceux qui étaient partis avaient rejoint des milices privées. Les férens parlaient de révolution, mais les humains parlaient de purge. Et Hervann se sentait très seul, avec son bâton de service, planté entre les deux.

Seuils (Partie 5)

Le soir venu, Hervann qualifiait son humeur d’exécrable, au bas mot. Il avait passé la majorité de sa journée à nettoyer son uniforme des taches de charbon et à poser des questions sur la mystérieuse fille du coin de l’église. Tout ce qu’il avait réussi à glaner était qu’elle s’appelait Samain, qu’elle vivait dans la rue et qu’elle avait été à l’orphelinat avant qu’il ne soit détruit. Une femme pensait qu’elle survivait en faisant la diseuse de bonne aventure du côté du théâtre, mais elle ne pouvait pas en jurer. Elle venait aux distributions mais restait à l’écart, et au final, personne n’en savait beaucoup sur elle. Hervann n’avait dormi que trois heures en tout et pour tout juste pour récolter ça. Pour couronner le tout, un orage s’était déclaré juste avant qu’il n’arrive au poste, et il avait dû faire les derniers mètres en courant. Et malgré tout, la soirée s’annonçait pire que la journée. Déjà, il y avait encore moins de monde dans la salle. La moitié des sièges étaient désormais inoccupés. Davantage de mémos faisaient état d’agents blessés, et une note au format standard, affichée un peu à l’écart des autres, annonçait la mort de l’agent Jocelyn Ere’ch des suites de ses blessures. L’ordre du jour non plus n’avait rien de réjouissant. Servane avait passé la journée à enquêter sur le mystérieux accident de la mine, qui prenait au demeurant de moins en moins la forme d’un accident, et il avait dû courir pour éviter les pierres que lui avaient lancées des individus encore non identifiés. Trois mineurs étaient morts dans l’éboulement d’une galerie, et la direction suspectait là encore un acte de sabotage. Les équipes de jour avaient été prises à partie sur les Terrasses par des commerçants humains pour se plaindre de l’insécurité et des bandes de Feren qui traînaient. Le divisionnaire était d’ailleurs toujours dans le bureau du maire. On parlait de faire déployer la garde dans les rues. La reine avait été informée des troubles et était attendue d’un jour à l’autre au palais. D’un autre côté, les Férens du quartier de la mine, et en dessous de la place aux ânes s’étaient carrément terrés à l’approche de la patrouille car elle était composée d’humains.
De nouvelles inscriptions avaient été découvertes sur les murs des bas quartiers, depuis la place aux ânes jusqu’à l’entrée de la mine. Des graffitis haineux, des incitations à la révolte signées par le Front Révolutionnaire Armé. La liste continuait encore, comme sans fin. On était sans nouvelles de trois agents, mais au moins l’un d’entre eux avait été vu en train de quitter la ville avec sa famille, il en était sans doutes de même pour les deux autres.
- « Comme si les choses étaient différentes ailleurs », avait soupiré Haensel, suffisamment fort pour que tout le monde en profite.
Servanne restant au poste le temps de mettre quelque chose sur ses blessures et de se trouver des vêtements décents, Hervann était volontaire d’office pour la patrouille. Ca ne le dérangeait pas trop. Il aimait bien les patrouilles, même si il doutait sincèrement de leur efficacité. Après tout, ils faisaient toujours le même parcours. D’abord, remonter sur les terrasses par la Ravine, les traverser dans toute leur largeur en longeant le parc, puis une boucle à travers le quartier commerçant en commençant par la partie haute du trajet du ferry. Toute cette partie là était en général sans aucune histoire. La place aux ânes était souvent déserte. Personne ne s’en prenait à l’église, et les commerces fermaient tôt. Mais quand ils reprenaient le trajet du ferry pour descendre dans des quartiers des mines, les membres de la patrouille resserraient les rangs et scrutaient les toits pour repérer les jeteurs de pierres.
Il y avait en fait deux quartiers distincts dans le bas de la ville. Les Rigoles, et le quartier de la mine, qui s’était développé à une vitesse affolante depuis l’ouverture des quatre galeries supplémentaires. Les ouvriers férens étaient arrivés en masse et s’étaient installé aussi bien dans les Rigoles que dans le nouveau quartier, et le tout avait finalement été désigné indistinctement par le nom « Quartiers des mines », ou « Les Mines » en abrégé, et bien d’autres noms de moins en moins sympathiques au fur et à mesure de l’augmentation de la population féren. La pente raide des rues et la multiplicité des petites allées en cul de sac et des ruelles faisait des deux quartiers un dédale quasi inextricable. Il était impossible de surveiller tous les angles et tous les débouchés. Les chemins se tordaient de manière incongrue, et ceux qui s’y aventuraient à la légère étaient en général retrouvés bien des mois plus tard dans les remblais de la mine, poignardés ou battus à mort. C’était un état de fait. Autant qu’Hervann le sache, personne n’avait essayé d’y mettre un terme. La police se contentait d’identifier les corps et de les rendre à leurs familles. Et d’envoyer des patrouilles pendant la nuit, en suivant toujours le même parcours.

Seuils partie 4

Samain s’en voulait, elle avait laissé sa robe derrière elle. Mais elle n’avait pas vraiment le choix. Elle avait refait le rêve. Et quelqu’un avait pu la voir à l’intérieur, ce qui était impensable. Seulement, les choses les plus impensables semblaient s’être donné rendez-vous dans ce rêve là en particulier, à commencer par ce garçon dont on voyait le visage sans aucune fluctuation. Quelqu’un le rêvait, et plus particulièrement il rêvait son assassinat. Et pire encore, ce quelqu’un avait repéré Samain. Elle ne savait pas comment. Elle l’avait senti tourner son attention vers elle, et la Voix avant demandé qui elle était, et ce qu’elle savait. Elle avait cru mourir, paralysée par les accents impérieux qui raisonnaient dans les moindres recoins de son corps. Elle avait ouvert la bouche pour la supplier. Elle avait ouvert la bouche, mais elle n’arrivait pas à crier. Elle se sentait perdre rapidement consistance, comme si la Voix la déchirait pour voir ce qu’elle avait à l’intérieur d’elle. Elle avait voulu serrer les poings, mais elle n’arrivait pas à bouger le moindre muscle. Elle était restée immobile, pendant que la Voix se fondait dans une des formes, prenant l’apparence d’une gigantesque ombre de feren. Et elle avait su qu’il allait l’attraper et regarder tout ce qu’elle était, puis la laisser morte dans le rêve. La rue devenait de plus en plus sombre. Les murs et les pavés se refermaient sur elle. Elle allait se faire écraser. Elle essaya encore de crier, mais sans succès.
Et tout d’un coup, elle avait sentit un choc l’ébranler au-delà même du rêve. Aussitôt, l’étreinte de l’ombre s’était relâchée. Elle s’était dressée, avait crié à la Voix de la laisser, qu’elle ne dirait rien. Et là… Là elle s’était rendue compte qu’elle était vraiment revenue. Et il y avait un homme qui la tenait. Un homme avec un uniforme. Elle avait paniqué et passé le seuil le plus proche sans prendre la moindre précaution. Ce qui était exactement ce qu’il ne fallait pas faire. Samain ne tenait pas à attirer l’attention sur ses petits talents. Surtout celle d’un policier. Tout le monde savait qu’ils travaillaient avec les casseurs de pauvres. Mais celui-là, elle l’avait déjà vu. Il venait souvent surveiller les distributions. Ce qui ne voulait absolument pas dire qu’il était digne de confiance. Surveiller les pauvres ne voulait pas dire qu’on les aimait, loin de là. Mais d’un autre côté elle allait avoir besoin d’aide, et un policier semblait être la personne la plus indiquée pour se confier. Sauf qu’il ne la croirait pas. Et même s’il le faisait, il ne verrait qu’une demie capable de faire des tours de passe-passe. Une nuisance en puissance pour les humains. Samain secoua la tête. Elle était assise sur un tronc d’arbre abattu par la tornade marron chocolat qui se déchainait encore au loin. D’autant qu’elle puisse en juger, elle était sur un promontoire rocheux. Elle savait qu’il avait été une île dans un lac. Mais la tornade était venue, et elle avait emporté toute l’eau. La végétation, le sable, la vase au fond du lac, tout avait désormais une étrange teinte marron. Le soleil était d’un rouge maladif. Ici et là, la boue glissait et révélait des fleurs violettes, qui rappelèrent à Samain le rêve du petit garçon à la mer. Elle serait bien restée dans celui-là. Il avait une saveur douce et triste. Ici, la violence affleurait sous la boue. Samain pouvait la sentir. Et elle savait ce qui allait arriver. La tornade allait faire demi-tour et revenir vers l’île. Elle serait si violente que celle-ci se fracasserait comme un morceau de pierre poreuse. Il fallait trouver un Seuil avant. Samain se redressa. Elle n’avait aucun moyen de descendre sans se faire mal. Les parois étaient abruptes, et des épines marron enserraient désormais les flancs de l’île, coupant toute retraite. Samain était de plus en plus inquiète. L’angoisse instillée par le rêve se mêlait à la sienne et la renforçait. Elle était sûre que la Voix la retrouverait. Il fallait absolument qu’elle change de rêve avant qu’il ne la repère. Déjà, la tornade marron amorçait son retour dans un bruit de tonnerre, l’eau revenant du fond de l’horizon avec la force d’un taureau furieux. De lourds nuages masquaient le soleil rouge. Prenant son courage à deux mains, Samain courut vers la partie du promontoire qui surplombait la plage. Toute frontière était un seuil. Alors il devait y avoir un seuil entre la pierre et le vide. Essayant de ne pas penser aux vagues qui déferlaient désormais sur l’île, faisant vaciller le promontoire, elle sauta.

lundi 29 septembre 2008

Seuils (Partie 3.4)

J'ai enfin retrouvé mes codes (après mes 3 semaines de privation internautique, c'était pas gagné).
Du coup, j'ai retravaillé ce passage, et je met la version améliorée.
Bon, y'a pas grand chose qui change, mais je trouve qu'on comprend mieux comme ça.
Un peu.

Hervann abaissa son journal. L’enfant était toujours profondément endormi. Pourtant, il aurait juré l’avoir entendu parler. Un cauchemar peut-être. Il se rapprocha. Effectivement, maintenant l’enfant se débattait. Hervann tendit sa main, hésitant quelque peu à toucher la forme crasseuse. Il posa finalement sa main. Et la retira aussitôt. Elle avait pénétré à travers la peau. Juste d’un rien. Il approcha de nouveau un doigt. C’était ça. Il sentait la peau en dessous, mais ses yeux lui disaient qu’il avait le bout de son doigt enfoncé dans le poignet de l’enfant. D’ailleurs, à bien y regarder, sa peau était bizarre. On pouvait deviner la forme longiligne de l’os au travers. Et l’enfant continuait à marmonner. Hervann se rapprocha encore. « Je ne dirai rien », « Je ne dirai rien ». A force de bouger, sa capuche était tombée. C’était une fille, en fait. « Je ne dirai rien ». Et même... Il n’en était pas sûr à cause de la peau étrange, mais son visage semblait un peu… Rond, pour celui d’une ferene. « Laissez-moi partir ». Bon, il fallait le réveiller. Hervann secoua le poignet translucide. Un choc secoua le corps entier. La fille se redressa, les yeux écarquillés. Elle regarda Hervann sans le voir et s’élança. Hervann voulut tendre la main pour la retenir. Elle avait disparu. Hervann mordilla sa lèvre inférieure. Il voyait vraiment des choses étranges. La fille n’avait pas tourné le coin, il en était sûr. Elle était arrivée au bord du recoin. Et plus rien. Ramassant la robe, Hervann rejoignit Gimart, scrutant chaque pavé de la place.
« - Déjà reposé ? » Hervann s’appuya contre le mur à côté de l’agent. « Si on veut. Tu n’aurais pas vu un gamin ? Enfin, une gamine » Hervann plia machinalement la robe bleue. « Elle est a filé comme si elle avait la mort aux trousses ». Gimart haussa les sourcils, puis les épaules. « Vu personne. Si tu veux mon avis, tu t’es endormi au soleil ».
Hervann tourna la tête pour observer le recoin. Un petit carré de pavés à l’abri du vent. A fond, le mur de l’église. Sur sa gauche, celui d’une maison d’au moins deux mères de haut, la même chose sur la droite. Aucune fenêtre ne donnait dessus. Le gamin, il continuait à l’appeler comme ça, avait filé directement vers l’ouverture. Il était forcément passé devant Gimart pour sortir. Hervann redressa la tête. La distribution de nourriture touchait à sa fin. Les frères et les dames du comité étaient tous occupés à ranger les tables à tréteaux et les marmites, et les pauvres étaient presque tous partis. Hervann pouvait voir d’un bout à l’autre de la place, et nulle part n’apparaissait le petit capuchon noir. Voilà qui était intéressant. Mais il allait devoir y réfléchir plus tard. La femme du comité se dirigeait de nouveaux vers eux, ses chaussures à talons dérapant sur les pavés. Gimart haussa les épaules, lança à Hervann un regard signifiant clairement : « On ne va pas y couper », ramassa les assiettes de soupe, dont une était encore pleine, et se dirigea vers la grosse dame. Hervann lui emboîta le pas, la robe et le journal toujours dans les bras. Il devait absolument trouver qui était ce gamin. Enfin, cette gamine. Ses lèvres s’étirèrent en un fin sourire tandis qu’il rejoignait la femme. N’avait-elle pas dit qu’elle venait là tous les jours ?

Seuils (Partie 3.3)

Comme prévu, la femme du comité babillait tant qu’elle pouvait sur les enfants déshérités, et la nécessité d’être généreux. Samain avait fini sa soupe et sa tartine, et le feuilleton n’avait pas duré longtemps. Quel dommage qu’elle n’ait pas le journal du jour, elle avait vraiment envie de savoir la suite. Les nouvelles étaient absolument rasantes. Un journaliste avait écrit un grand article où il dénonçait les « velléités révolutionnaires de certaines franges de la société », tout en se plaignant de « l’ingratitude des masses, dû à leur manque d’éducation consternant ». Par ailleurs, un étranger, apparemment, avait écrit un long courrier en partie publié dans les dernières pages du journal. Il était présenté comme un « dangereux agitateur social », et prédisait « le soulèvement des masses opprimées comme un cheval rendu fou par la douleur finit par rompre ses liens ». Pour ce que pouvait en juger Samain, l’étranger aurait mieux fait d’écrire des feuilletons, il avait tout à fait le style pour. Elle se sentait agréablement assoupie. Ces histoires de soulèvement l’ennuyaient plus qu’autre chose. Ca ne la concernait pas, et ça lui rappelait son rêve de la nuit dernière. D’ailleurs, il n’y avait pas trop de vent, et serrer sa nouvelle robe contre elle lui tenait chaud. Sans trop y penser, Samain s’endormit.
Au début, elle crût qu’elle était endormie pour de bon, et qu’elle était dans un de ses propres rêves. Mais elle s’aperçut que ce n’était pas le cas. Il y avait encore cette désagréable voix qui imprégnait tout l’atmosphère. La nuit était noire et humide. Samain pouvait cependant y voir clairement. Il y avait quatre personnes qui attendaient. Elles n’avaient pas pris la peine de se cacher, elles occupaient fièrement milieu de la rue. Samain se colla contre un mur, essayant de faire le moins de bruit possible. Elle devait trouver un seuil. Mais elle ne voyait ni porte, ni fenêtre, ni rien. Le mur de la main était plein et vide comme un décor de théâtre. La rue occupait le devant de la scène, étrangement nette dans cette nuit d’encre. Et au centre, les formes de ces quatre personnes qui attendaient. L’un deux sortit sa montre, et Samain entendit : « A trois heures juste ». A ce moment là, une autre personne arriva. C’était un enfant, ou un jeune homme. Un peu plus âgé de Samain, peut-être. Etrangement, son apparence ne fluctuait pas, comme si le rêveur avait une conscience précise de la personne qui occupait ce rôle. Comme s’il l’avait décidé. Ce qui était étrange, vu que normalement, même l’apparence du rêveur fluctuait. En tous cas, Samain n’avait encore jamais vu le clair visage de quelqu’un dans un rêve. Elle ne voyait que les silhouettes vagues des quatre personnes, mais elle était sûre que leurs visages ne fluctuaient pas non plus. Ca n’aurait pas dû être. Il fallait que Samain s’enfuie. Le jeune homme portait un panier qui semblait lourd. Il s’adressa aux autres figures, mais Samain ne pouvait pas entendre ses paroles. Il devait bien y avoir une issue. La voix était là, tordant le rêve sous ses martellements. Elle dictait ses ordres. Le jeune homme devait déposer ses paquets, ce qu’il fit. Il devait s’approcher. Ce qu’il fit. La lame illumina un instant la nuit d’encre. Le jeune homme s’écroula. Samain voyait son sang s’écouler entre les pavés, vers elle. Elle avait déjà fait ce rêve là. Juste après l’autre. Elle savait ce qui allait se passer. La voix cracha de nouveau ses ordres. Et deux des silhouettes apportèrent quelque chose au milieu de la rue. Un corps. Non. Un homme inconscient. Samain voyait briller les galons de son uniforme. Lui non plus ne fluctuait pas. Il avait les traits mous et fatigués. Des lèvres trop pâles, et quand il ouvrit les yeux, ceux-ci balayèrent la rue sans rien voir. Mais Samain voyait bien le corps devant lui. Et elle entendait les cris. Et quand lafoulle arriverait, elle trouverait un détective de la police debout devant le cadavre d’un enfant feren, le couteau ayant servi au crime encore à la main. Samain pouvait entendre des accents de triomphe dans la voix. Elle savait aussi exactement ce qu’il y avait dans le panier. Et que ce n’était que le début. Et avec une certitude glaçante, elle sut que la Voix l’avait trouvée.

Seuils (Partie 3.2)

Hervann était mort d’ennuie. Il en était absolument sûr, d’un instant à l’autre, son âme allait s’échapper de son corps pour fuir ce flot de babillage. D’habitude, les policiers passaient le temps de la distribution à discuter des affaires en cours, ce qui tenait éveillé. Ils appelaient ça le jeu du détective. Il s’agissait de trouver les coupables avant les détectives en titre, histoire de prouver que les agents n’étaient pas qu’une bande d’incapables en uniformes. Ca permettait toujours de passer le temps et c’était plutôt amusant, même si les affaires en cours étaient plus inquiétantes qu’autre chose. Et les habitants se montraient de plus en plus méfiants en voyant un uniforme. Autant les humains qui les accusaient de protéger des criminels Ferens assoiffés de meurtre que les feren qui les accusaient de faire usage de violence contre eux. Sans parler de ces histoires de sabotage dans lesquelles l’incapacité de la police à faire quoi que ce soit était unanimement pointée du doigt par les deux communautés. Porter un uniforme était devenu extrêmement inconfortable, même quand il n’était pas couvert de poussière de charbon, et chaque jour, de nouveaux agents démissionnaient, quand ils prenaient la peine de revenir l’annoncer. Et pour couronner le tout, alors que Hervann ne souhaitait qu’une chose : aller s’enterrer dans son lit pour quelques heures, voilà qu’une bonne femme empâtée venait leur parler tricot et dons aux nécessiteux. Et le pire, c’est qu’elle avait l’air de trouver ça passionnant. Un instant, il se rêva en train de pousser la grosse dame dans la flaque de boue la plus proche. Peut-être arrêterait-elle de parler de la meilleure laine à utiliser, ou des motifs ridicules qu’elle faisait sur les mitaines. Sans parler de la manière absolument rageante dont elle parlait des Nécessiteux. Un rare mélange de pitié et de mépris qui donnait à Hervann des idées très arrêtées sur ce qu’il ferait une fois qu’il aurait bien roulé son gros corps dans la boue. C’était à se demander ce qu’elle pensait de son uniforme crasseux. Sans doute le classait-elle dans les nécessiteux, lui aussi ? Un coup de coude bien placé finit par le faire revenir à la réalité. Gimart lui adressait des regards alarmés tout en gardant un sourire poli aux lèvres.
« - Excusez-moi, mais est-ce qu’il vous resterait un peu de soupe, peut-être ? Nous n’avons rien mangé depuis hier soir ».
Avec des petits cris d’affolement, la femme s’empressa de retourner vers les tables à tréteaux ses talons résonnant cruellement sur les pavés de la place.
« - Profites-en pour te cacher derrière le coin de l’église, souffla Gimart. Je dirai que tu es parti faire une ronde ».
Sans demander son reste, Hervann se glissa de l’autre côté du mur, et inspira un grand coup. L’endroit était calme, abrité du vent et des regards. Hélas, la place était déjà prise. Serré contre le mur de l’église, un gamin semblait profondément endormi. A moins que ce ne soit une fille ? C’était difficile à dire, il avait une capuche. Sans doute était-il le propriétaire du journal qui trainait à côté de lui. Bah, se dit Hervann en s’installant. Il ne l’utilisait pas pour le moment. Il ne pourrait pas lui en vouloir de l’emprunter un peu.

vendredi 19 septembre 2008

Train again

Et hop, un petit morceau de ma prochaine histoire.
(Si je n'en suis qu'au début ici j'ai quasiment terminé Seuils. J'ai qu'un soucis. Comment faire une fin pas mièvre ? Je ne peux pas tuer mes persos, j'en ai besoin pour la suite).


Elle observait son visage dans la vitre du train. Elle n’avait pas le temps de le faire avant de partir, Susanne n’aimait pas qu’elle aille dans la salle de bains avant elle. Elle commençait par vérifier qu’aucune bosse ne déformait le pli de ses cheveux, retenus dans la nuque par une pince sévère. Elle inspectait ensuite ses yeux, puis descendait sur ses cernes qui se déployaient de part et d’autre de son nez comme un papillon violacé. Elle inspectait enfin sa bouche, guettant un reste de miette invisible ou la plaie rouge d’une gerçure négligée. Enfin, satisfaite de son premier examen, elle passait à l’autre, cherchant dans chaque élément de son visage des traces de sa ressemblance avec elle. Elle avait, elle s’en félicitait, les cheveux et le teint hâlé de son père. Son nez aussi, bien qu’elle le déplorât quelque fois sur un plan purement esthétique. Mais la forme générale du visage, cet ovale brisé par la ligne de la mâchoire, trop carrée pour s’y fondre, les yeux petits et enfoncés, la bouche à la lèvre inférieure trop pleine et à la lèvre supérieure trop mince. Tous ses traits, elle les retrouvait chez sa mère. Comme les taches de rousseurs qui lui parsemaient les joues au moindre rayon de soleil. Mais ce qu’elle redoutait le plus, c’était d’en prendre l’allure. Le miroir déformant de la vitre du train lui donnait l’impression de pencher la tête comme elle quand elle était contrariée. Les premiers rayons du soleil faisaient ressortir le froncement de ses sourcils et le plissement d’yeux caractéristique des personnes myopes. Une tare qu’elles partageaient. Leur manière de froncer le nez pour retenir les lunettes qui glissait était aussi identique.
Elle s’auscultait ainsi tous les matins, notant les infimes différences, dans la lourdeur des paupières, la manière de tordre les lèvres ou de tourner le visage, craignant chaque jour davantage que l’adulte qu’elle deviendrait bientôt perde tous ces signes qui faisaient d’elle une personne à part entière.

Voyage en TGV

Et voici un petit résumé de mon voyage en TGV.
J'ai un peu romancé, bien sûr, mais les deux dames âgées en question avaient un petit côté stéréotype qui m'a bien fait rigoler.
Donc j'ai essayé de les décrire un peu. Pas méchamment, bien sûr, je suis adorable, tout le monde le sait. J'ai essayé de rendre un peu leur côté chiant, mais attachant quand même quelque part (avec de grosses cordes).
Texte à lire en écoutant "Les Bigotes" de Jacques Brel.
Pensez donc, elles allaient voir Benoît XVI.




Découvrez Jacques Brel!


Elles sont assises côtes à côte, ratatinées dans les étroits fauteuils de deuxième classe. Quand quelqu'un vient leur signaler qu'elles sont à sa place, elles répondent que c'est la faute du jeune homme qui a mis leurs valises dans le porte bagage. Il s'est trompé, comprenez ? Il les a mises au dessus du siège précédents. Alos elles se sont installées là, juste sous les bagages, au cas où on les volerait. C'est qu'on ne sait jamais. On pourrait les leur prendre. Même dans le TGV on n'est pas en sécurité.
Elles commencent à discuter. Des retards de la SNCF. Elles vont lourdes, voir le Pape, espérons qu'elles ne seront pas en retard cause de tout ça. La faute aux caténaires, vous savez ? Ils en parlent beaucoup à la télé. C'est que la SNCF, aujourd'hui, ce n'est plus comme avant, oh non. Et elles continuent. Il y en a une qui parle, et l’autre hoche la tête en rythme. Oui, oui. Oui, oui. Oh, vous avez bien raison.
Le contrôleur arrive. Mais leurs billets sont dans le sac, dans le porte bagage. La faute au jeune homme. Elles lui avaient bien dit de ne pas le monter Qui viendra leur descendre quand elles seront arrivées. Deux femmes aussi âgées, il faut avoir pitié. Vraiment, les jeunes... Le contrôleur finit par passer. Et puis le temps est long, alors elles recommencent leur étrange dialogue à une seule voix. Elles parlent temps qui ne sont plus sûrs. De la morale qui se perd. De son dernier accès de panique à cause de la morphine. Le médecin a dit que le dosage était trop fort. Et puis de fil en aiguilles, elles en viennent à parler des gens qu'elles connaissent toutes les deux. Et il y en a des tonnes, pensez ! Quarante ans qu'elles sont voisines, se justifie l’une. Et elles pointent du doigt leurs petits arrangements avec la vie, des mensonges et quelques compromissions. Elles sont bien placées pour juger, après tout. Aussi ben installées dans leurs petits fauteuils de TGV que dans leurs certitudes. Et elles meublent comme ça leur voyage. L’une qui parle et l’autre qui opine. Encore trois heures, tant que ça ? Si on parlait du journal ? Elles lisent le même bien sûr. Mais depuis quelques temps, cinq ans, pas plus, leurs article politiques, il en faut bien, ils ont changé, ils ne sont plus très bien. Ils étaient vraiment mieux avant, quand elles étaient du même avis que le journaliste qui les faisait, n'est-ce pas ? Il faudra leur écrire à ce sujet, qu'ils s’améliorent, Ah, on est bientôt arrivé. Il y en a une d'endormie, celle qui opine. L'autre ne s’en était pas aperçue, dites donc. Elle décide de bouger un peu. C'est tout un processus de se lever. Il faut bien penser à relever la tablette. Et puis les accoudoirs aussi. Et attendre que le train arrête de tourner. On est si fragile quand on a vieilli, elle le dit à l’endormie.
Finalement, elle se réveille. Juste temps. Il faut lui raconter. Vraiment, elle est outrée. Elle est allée aux toilettes. Elle y va deux fois par voyage, au moins. Si elle est retardée en y allant quelle histoire ! Elle ne supporte pas, elle fait un scandale ! Une femme de son âge, pensez donc ! Et justement, elle parlait de ça parce que les gens sont des cochons. Oh oui. Il y a du papier partout par terre, quelle horreur, ça colle aux chaussures. Mais les gens n'ont plus de manières que voulez-vous. Plus du tout. L’autre opine. Enfin elle, elle est tranquille, hein, après elle les gens peuvent passer. Elle n’a rien à se reprocher. Oh, mais on descend bientôt. On ferait mieux de descendre les valises. Quelqu'un pourrait nous aider ? Dommage que son fils ne soit pas là. Même s’il n’est pas un garçon bien doué, il aurait put descendre les valises. Et à propos, comment vont les enfants ? Elles se lèvent ensembles et se rendent petit pas vers le sas de sortie, le train entrera en gare dans dix minutes, il faut faire vite, se préparer.

dimanche 14 septembre 2008

Serpents encore

Et mes deux derniers serpents d'ennui faits avant les vacances.

Histoire de ne pas poster que du Seuils ce soir.




Je les aime bien, cesdeux là, ils font un peu garde prétorienne comme ça.

Seuils (Partie 3.1)

D'habitude je poste des morceaux plus gros, mais là c'est un passage à plusieurs voix, donc je les isole histoire de vérifier que chaque paragraphe "fonctionne" tout seul et avec le reste.
Un autre truc qui m'énerve, c'est que le personnage couché sur le papier le paraît toujours moins profond que ce que j'ai imaginé.

Finalement, Samain était plutôt contente d’être arrivée plus tôt que prévu. Le bedeau l’avait trouvée glacée et avait insisté pour qu’elle prenne un bol de cacao avant même que la distribution ne commence. En plus, une des dames avait apporté un lot de vêtements, et elle avait pu mettre la main sur une robe doublée à peine trop grande pour elle. Enfin, cerise sur le gâteau, elle avait réussi à s’installer dans un coin de la place abrité du vent, et avec le journal de la veille. Pour le frère qui lui avait donné, les nouvelles étaient périmées, mais pour Samain, c’était toujours de la lecture. C’était sans doute ce qui lui manquait le plus depuis qu’elle n’était plus à l’orphelinat. Sans plus attendre, elle l’ouvrit au milieu et regarda le résumé du feuilleton. Apparemment, l’histoire devait en être à peu près au milieu. Mais c’était toujours dur à dire avec les feuilletons. Une histoire de chevalerie pour changer. Le héro était un gentilhomme solitaire qui se battait pour l’Honneur et la Justice et parcourait le pays à la recherche du mystère de sa naissance. Et pour corser les choses, bien sûr, une intrigante assoiffée de pouvoir avait juré sa perte après qu’il a empêché l’accomplissement de ses desseins maléfiques.
- « Et sinon, c’est toi qui est allé chez les Pennaer’ch pour la disparition ? ».
Samain releva brusquement la tête. Elle avait pourtant choisi un endroit à l’écart, derrière le coin de l’église. Mais les policiers étaient venus s’adosser au mur pour suivre la distribution des yeux. Ils voulaient sûrement causer tranquilles et ne l’avaient pas vue. Quoi qu’il en soit, cela ne la regardait pas. Elle allait juste faire comme s’ils n’étaient pas là. Donc… Ah oui, la Maléfique, qui était, on l’avait appris avec stupeur dans le précédent chapitre une demi férene douée de pouvoirs d’enchanteresse incommensurables, en plus de ses capacités de séduction incroyables, avait fait assassiné la fiancée du héro. Le héro en vengeance de cette vengeance, donc, avait cherché à la tuer. Mais en un instant, elle l’avait magiquement séduit, alors que le poignard était déjà sur sa gorge, et….
- « … Il n’est pas revenu chez lui depuis deux semaines. Ses parents sont très inquiets. Ils pensent que des policiers l’ont tué à cause de ses opinions politiques. J’ai dû faire des pieds et des mains pour qu’ils entrouvrent la porte. J’ai même apporté un rameau de houx »
- « Un rameau de houx ? »
- « C’est une tradition féren pour dire qu’on vient en paix ».
Samain haussa les épaules. Elle n’allait pas se mêler des affaires des policiers. Donc. La Maléfique avait séduit le héro pour une nuit, et maintenant il la pourchassait dans une ville absolument incroyables qu’on aurait juré faite uniquement d’intrigues et de complots. Elle espérait voler des artefacts magiques d’une civilisation disparue. Il voulait l’arrêter sans savoir s’il agissait par amour ou par haine. Voilà qui promettait. Samain se plongea dans le chapitre.
- « D’ailleurs on ne l’aurait pas su si son employeur n’avait pas donné l’alerte. Il travaillait pour un imprimeur dans la rue Crête. Le premier jour il a cru qu’il était malade. Le deuxième, il est allé voir sa famille. Ils lui ont interdit d’entrer et ont crié qu’ils ne savaient pas où il était.
- C’est gênant pour nous, tout aussi bien. Un agent était chargé de le surveiller.
- On manque tellement de monde qu’ils l’ont affecté autre part au bout de trois jours ».
Samain essayait de se concentrer. Il s’agissait de boire sa soupe avant qu’elle refroidisse, tout en lisant le feuilleton, et sans faire tomber sa tartine. C’était vraiment gênant cette discussion, parce qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de l’entendre. Heureusement, une des dames du comité venait manifestement à leur rencontre. Les dames du comité ne parlaient que de charité et de religion, Samain ne les entendaient même plus, tant elles répétaient sans cesse la même chose. Elle ne la voyait pas, mais elle pouvait l’entendre se dandiner sur les pavés humides, ses chaussures à talons heurtant le sol à un rythme effréné tandis qu’elle s’approchait tant bien que mal des policier. Quelle idée aussi de mettre des chaussures à talons, il n’y avait vraiment qu’une dame du comité pour faire ça. Enfin, ce n’était définitivement pas les affaires de Samain. Elle avait précautionneusement une gorgée de soupe, et tourna tant bien que mal la page du journal.


samedi 13 septembre 2008

Les phrases impardonnables

Une nouvelle rubrique pleine de poésie.

Que je sous-titre arbitrairement : "Je l'ai dis, et j'assume"
(En tous cas je fais comme si).



"A chaque fois, je pleure comme une héroïnomane en manque qui voit un paquet de farine éventré".


Pour ceux qui veulent savoir, je parlais de la fin de Big Fish.

Défi 5

Et voici donc le défi 5.



Thème : Décrire un endroit que vous qualifiez de sinistre, glauque.


J'en ai profité pour contenter à la fois mon amie Flemme et mon amie Mori, en lui proposant pour l'occasion de faire dans ce défi la description du lieu où allaient se passer le RP glauque qu'elle prépare.

Et j'ai fait un truc dont j'étais pas satisfaite.

Donc aujourd'hui, petit effet avant/après.



En 1, ma première description, digne de mes exercices de collège, je trouve.



La bibliothèque anglicane possédait trois clochers, dressés comme les épines d’une plante sauvage au dessus des bâtiments et de la cour. Au fil du temps, leur couleur blanche s’était couverte de plaque noire, blessures infligées par la ville à ce bâtiment trop différent des tours en verre qui l’entouraient. Les gargouilles en faction sur les toits avaient elles aussi succombé à cette maladie de la modernité, et leurs visages noircis paraissaient d’autant plus vivants. Un haut mur de pierre entourait le bâtiment, le dérobant aux regards indiscrets. Le jardin qu’il protégeait avait été laissé à l’abandon depuis le départ des moines. Les mauvaises herbes s’étaient élevées en masses touffues, tandis que les fleurs avaient rapidement dépérit, laissant derrière elle de longues trainées de terre lépreuse.
L’on entrait par un portait de fer forgé, mangé par la rouille, qui ne pouvait s’empêcher de grincer, même quand personne ne le poussait. Il fallait ensuite suivre remonter l’allée bordée de ronces, puis passer devant deux statues, à moitié enfouies dans des buissons d’orties. Le porche se présentait ensuite, offrant aux chaussures son seuil de marbre ternis, et aux regards son imposante porte en chêne, bardée de ferronneries patibulaires. Derrière la porte, le couloir semblait se dérouler à l’infini, ses murs nus s’étirant de manière trompeuse entre deux fenêtres hautes. Un simple tapis rouge l’habillait, avalant goulument les bruits de pas des visiteurs.
Au bout du couloir, une autre porte gardait l’entrée de la salle de bibliothèque principale. De longues tables de bois verni traversaient la salle comme des cicatrices. Les étagères se répandaient sur tous les murs de la salle. Les livres avaient même pris d’assaut les fenêtres, des piles entières de livres à ranger masquant sournoisement l’espace jusque là réservé à la lumière. Pour pallier à ce manque, les anciennes lampes à huile avaient été aménagées pour que des ampoules y soient installées, mais la faible lueur qu’elles émettaient faisaient davantage ressortir l’obscurité qu’elles ne la combattaient. Dans la pénombre, le silence s’étirait langoureusement entre les tranches austères des livres.



Et en 2 : La version finale que je vais renvoyer à Mori dès ce soir.



Ce qu’on voyait d’abord de la bibliothèque, c’étaient les trois flèches de pierre moussue dont les flèches menaçaient les nuages. Ensuite, on distinguait le mur d’enceinte, du gris des pierres laissées à l’abandon. Comme une grand-tante trop attentive, il cachait à la vue la moindre fenêtre du bâtiment. Il fallait remonter la rue jusqu’au portail pour espérer en avoir un aperçu. Et ce portait seul pouvait déjà justifier de la sinistre réputation de la bibliothèque. Ses courbes de fer noir avaient la beauté des ronces sauvages et s’entrelaçaient à tel point qu’en collant le visage à un interstice entre deux tiges, on pouvait tout juste deviner l’allée de sable terne qui menait à l’entrée. Il fallait pousser sa poignée sculptée en forme de démon et l’ouvrir dans un grincement sonore pour pouvoir observer la bibliothèque.
Les plates bandes qui naissaient au pied du mur retenaient d’abord l’attention. Les buissons d’ortie avaient pris la place des bégonias, tandis que les genévriers étouffaient à petit feu les buissons de roses qui ne donnaient plus de fleurs. On distinguait encore au milieu de l’amas végétal quelques statues, datant du temps où la bibliothèque était une abbaye. On disait qu’elles représentaient les vices et les vertus, mais sous la mousse épaisse, il était impossible de les départager.
Et quand le regard quittait les herbes, il remontait l’allée, où même les mauvaises herbes n’arrivaient pas à prospérer, et se posait sur la porte d’entrée. Massive et noire, elle mettait au défi d’approcher quiconque n’avait rien d’important à faire là. Des barres de métal avaient été clouées dessus pour la renforcer et brillaient sinistrement au moindre rayon de soleil. Juste devant la porte, deux statues de démons en gardaient l’entrée avec vigilance, leurs yeux recouverts de lierre suivant chaque pas de l’imprudent qui remontait l’allée.
Une fois la porte ouverte, le visiteur voyait se dérouler devant lui un couloir apparemment plus long que le bâtiment lui-même, au milieu duquel un épais tapis rouge étouffait avec délectation les bruits de pas. Aucune décoration n’égayait les murs nus, mis à part les ombres portées des visiteurs, qui se déformaient dans la lumière oblique des lampes, jusqu’à sembler appartenir à un être mystérieux penché sur son épaule plutôt qu’à une projection de soi-même.
Au cout du couloir s’ouvrait la porte de la bibliothèque proprement dite. Une porte de chêne, elle aussi bardée de fer et de clous pour interdire l’accès aux livres. Juste derrière, une ancienne chaire, descendue et adaptée pour servir de bureau de prêt, guettait l’arrivant. Mais ce qui retenait le plus l’attention, c’étaient les livres. Du sol, les étagères se lançaient à l’assaut du plafond, emportant dans leurs rayonnages des armées de livres. Ils occupaient déjà les fenêtres, des piles de livres à ranger ayant sournoisement colonisé l’espace jusque là réservé à la lumière. Des lampes avaient été dissimulées dans les anciennes lampes à huile fixées au mur, mais elles ne faisaient que souligner les recoins sombres et les espaces tapis derrières les rayonnages. Et de ces poches enténébrées sortait un silence recueilli, rempli de l’odeur des livres anciens.



jeudi 11 septembre 2008

Serpents suite

Et voici le dernier serpent qui ne voulait pas venir.















Et donc ensuite le serpent piment qui n'était là qu'à moitié dans le post précédent alors je l'ai enlevé.







Serpents

Et encore des dessins

Oui oui oui, en ce moment, à certains moments de la journée que je ne citerai pas...
Je m'ennuie (pour faire court).

Alors je m'occupe comme je peux.

Voilà deux vagues de dessins faits la veille et le lendemain (logique).

La première vague : les grenouillères pour bébés serpents.

Ne me demandez pas comment ça m'est venu surtout.
Mais je les aient trouvés choupis.
















Notez que j'essaie de faire des progrès en mise en page, hein.






Et donc ensuite, les serpents en armure, ou serpents chevaliers.
Qui serviront en fait dans le cadre d'une histoire dont j'ai eu l'idée, mais alors pas tout de suite.
(En même temps maintenant que j'y pense, les ferens devaient avoir des têtes de serpents à la base. Je le remettrai peut-être, tiens).


Et donc, en détail :





































samedi 6 septembre 2008

Seuils (partie 2)

Et voilà la suite de Seuils.
Je n'ai toujours pas de meileur titre en vue, on verra au fur et mesure



Enfin le bout de la nuit. Hervann brossa machinalement son pantalon couvert de charbon. Il valait mieux essayer de se rendre présentable avant la revue de changement d’équipe. Mais c’était peine perdue. La fine poussière noire s’accrochait au pantalon bleu. Sans parler de sa veste. Il lui semblait même que ses tentatives de nettoyage ne faisaient qu’étendre les taches. Ce qui faisait beaucoup rire Servane.
- « Te donne donc pas tant de mal. Cette saloperie part pas. Si tu veux faire bonne impression devant ta copine, change de costard. »
Hervann préférait encore ne pas répondre. Après tout, et très objectivement parlant, tout était la faute du détective. C’est vrai, qui avait insisté pour qu’un agent l’accompagne pour examiner le lieu de l’accident ? Et qui avait ensuite réquisitionné une caisse confortable pour s’asseoir et fumer une cigarette pendant qu’Hervann se cognait toutes les investigations ? Et qui allait se parer des lauriers quand le divisionnaire demanderait des comptes ? Hervann soupira. Il ne devrait pas se plaindre. Après tout, il avait un travail confortable et bien payé par rapport aux férens qui trimaient dans la mine. Même si les deux métiers possédaient d’étranges similitudes, comme par exemple le risque de recevoir des pierres en travers du visage. Encore que depuis qu’il était rentré, Hervann se demandait quelle situation était la pire. Encaisser les blagues des gradés et des autres agents sur son âge et son absence évidente de vie amoureuse, ou les rondes dans les rues où les gamins ferens leur balançaient des pavés ? Un bruit évocateur se fit entendre dans le vestiaire. Abandonnant ses tentatives de nettoyage, Hervann se dépêcha de regagner la salle, avant que la puanteur n’envahisse tout. Ici et maintenant, les blagues étaient sans aucun doutes le pire. Des agents pas assez rapides sortaient maintenant du vestiaire les larmes aux yeux. Mais Hervann changerait sans aucun doute d’avis dès qu’il repartirait battre les pavés. Sur le panneau d’affichage, une note indiquait que l’agent Jocelyn Erve’ch avait été reconduit chez lui après avoir reçu un projectile en plein front. Un agent se chargeait de collecter les fonds pour le médecin qu’il avait fallu appeler. Une autre note rappelait la prudence et la nécessité de ne jamais enlever son casque pendant les rondes. Une troisième rappelait qu’il fallait fermer son casier, des vols avaient encore eu lieu.
Soupirant de nouveau, Hervann alla s’installer sur un des sièges en bois inconfortable de la salle. Attrapant un écritoire, une plume et du papier, il se mit en devoir de rédiger le compte-rendu de sa nuit. Il valait mieux qu’il se dépêche. Il ne restait plus beaucoup de temps avant la revue. Alors…
Premier quart, ronde dans le quartier des Roucailles. Rien à signaler. Aucun comportement suspect observé. La patrouille était ensuite descendue dans les quartiers feren en commençant par La Nivelle, puis en continuant sur la rue Thiait jusqu’au mouroir de Chrishold. Là encore, rien à signaler…. Hervann s’arrêta, biffa ce qu’il venait d’écrire et le remplaça par : « injures et quolibets de la part des enfants ferens, mais sans voies de fait sur agent de la force de l’ordre ». Tout ça faisait partie de l’ordinaire, pour ainsi dire. Même pour lui. C’était devenu si courant que la plupart des rapports ne le signalaient même plus. A son arrivée dans la brigade, Hervann avait essayé de les apprivoiser en leur montrant qu’il connaissait leur culture, mais ça n’avait pas suffit. « Les bonnes intentions ne paient jamais » avait l’habitude de dire le divisionnaire, qui rajoutait aussi sec « C’est pour ça qu’on a autant de boulot ».

- « Thé, petit ? ». Servane lui en fourra un gobelet brûlant dans les mains sans attendre sa réponse. « Tu rédiges le rapport ? », continua-t-il, comme si ce n’était pas suffisamment évident. Servane avait un don pour enfoncer les portes ouvertes. Mais Hervann avait appris à ne pas s’y fier. Derrière la figure chafouine de l’enquêteur se cachait un cerveau en parfait était de marche. Il avait toujours une idée derrière la tête, et Hervann le soupçonnait de calculer les réactions de ses interlocuteurs pour garder un coup d’avance. La seule chose qui le trahissait était ses yeux d’un gris sale, toujours en mouvement. Et en l’occurrence, le fait qu’il décide de taper un carré de langue avec un des bleus était assez rare pour rendre Hervann soupçonneux. Attendant d’en savoir plus, il trempa sa plume dans l’encrier de l’écritoire et continua. Deuxième quart : réquisition par un enquêteur de la brigade en la personne de Dt. Dennoal Servanne pour l’assister dans son enquête sur une explosion suspecte dans la mine de charbon. Sur place, examen des lieux. L’explosion a eu lieu dans l’entrepôt de stockage des produits de minage, au niveau d’un tas de rouleaux de cordes de halage. Un examen des lieux a permis de constater la présence d’huile d’éclairage répandue sur le sol et les cordes, ainsi que sur plusieurs caisses contenant des matériaux inflammables, cf photogrammes 1 et 2.
- « … Pas que je me mêle de ce qui me regarde pas, mais comment tu t’es retrouvé ici ? Je veux dire, un bon petit gars comme toi, t’aurais pu faire un boulot honnête ».
Hervann releva brièvement la tête. Sous la lumière fade des lampes à huile, les rides de Servane ressortaient davantage, lui donnant presque un air sympathique. Un léger sourire se dessinait sur ses lèvres. Mais Hervann n’avait pas vraiment envie d’être le chien qui apporte le bâton pour se faire battre.
- « Tu as raison, ça ne te regarde pas », et il se replongea dans son compte rendu. Des traces sur le sol montrent que les caisses contenant les éléments les plus inflammables ont été trainées, sans doute pour être rapprochées du foyer d’incendie. Il a cependant été impossible de relever des traces de pas distinctes sur le sol, cf photogrammes 3 et 4. Il est donc à l’heure actuelle impossible d’affirmer que ce début d’incendie est d’origine volontaire, même si plusieurs éléments peuvent le laisser pense : d’après le témoignage
Pendant ce temps là, Servanne continuait à parler. Il semblait avoir accepté la réponse d’Hervann et avait changé de sujet. Il soliloquait désormais sur l’incendie.
- « … Ne te paraît pas bizarre à toi, ça ? Ils sont des consignes de sécurité strictes, et hop, voilà les bâches entreposées juste à côté des cordes et des réserves d’huile pour les lampes. Et pourtant l’incendie est la pire terreur du mineur. Bon, mis à part les coups de grisou et les éboulements, je veux dire.
- Le feu a pris dans l’entrepôt. Une personne voulant nuire aurait plutôt visé l’entrée des puits ou un endroit moins accessible. D’ailleurs, les mineurs en surface sont intervenus, ce qui a permis d’étouffer l’incendie avant qu’il ne fasse des dégâts.
- Tu marques un point, mais moi j’vais te dire, petit. Tout le monde sait que c’est pas normal. T’as entendu comme moi l’inventoriste. D’après lui, les bâches étaient à l’origine rangées à l’opposée des cordes. Et paf, par miracle, voilà qu’elles se retrouvent juste là où il fau pas, alors qu’un stock d’huile, qu’a normalement rien à faire là non plus fuit et en imbibe une large partie. »
Hervann mit le point final à son rapport et relu ses conclusion. Elles rejoignaient celles du détective.
- « Vous oubliez qu’on a retrouvé des rayures profondes sur le bois du sol, ce qui semble indiquer que la caisse a été trainée.
- Ouais, quel dommage que les gars de la mine aient piétiné partout en éteignant le feu. On a tellement de traces de pas noires qu’on peut plus les démêler. A supposer que le type qui a fait ça soit un charbonneux, ça va de soit. »
Hervann sentait le regard du détective peser sur lui, mais pour l’heure, il faisait mine de ne pas y prêter attention. Il ne savait toujours pas ce que Servanne voulait, et ça le contrariait. S’il lui posait la question, l’autre répondrait sans aucun doute « Mais j’parle juste d’une affaire, c’est tout, s’pas interdit ! », d’un air offensé. Mais il y avait forcément un bâton caché dans toute cette discussion. Peut-être le détective voulait-il que le bleu tape son rapport ? Ou alors voulait-il le sonder ? Hervann n’avait jamais fait mystère de ses opinions pro-fenrens. Bon, peut-être pas pro, mais en tous cas neutres. Et par les temps qui courraient, « vivre et laisser vivre » n’était pas une option simple à choisir. La plupart des membres de la brigade étaient des soutiens absolus de l’ordre établi. Il courrait même des rumeurs sur plusieurs d’entre eux. Comme quoi ils participeraient aux raids des chasseurs de pauvres. Il n’y avait guère que les très riches et les religieux (et encore, une minorité d’entre eux) pour essayer de venir en aide à la population ferene. La cohabitation entre les humains et les ferens était depuis longtemps minée par une haine larvée qui d’où jaillissaient de soudaines flambées de violence, vite réprimées. Puis les choses reprenaient leurs cours, et la tension montait de nouveau jusqu’au drame suivant.
« - Bah, c’est forcément les p’tits pâles qui sabotent leur gagne pain, ça vaut pas le coup que tu te prennes la tête dessus. Fiche-en une bonne quinzaine au frais pendant un moment, ça les calmera ».
Hervann releva les yeux. Le détective Haensel venait d’arriver dans la salle, et naturellement, il était venu se mêler à la discussion. Enfin… Au monologue de Servanne, aussi loin qu’ Hervann était concerné. Haensel avait pris Hervann en grippe depuis son premier jour dans la police, et réciproquement. L’agent essaya de se faire plus petit encore. Il ne tenait pas vraiment à subir les réflexions éclairées de Haensel sur l’ordre des choses et la préséance naturelle. Heureusement, pour ainsi dire, Haensel aimait aussi peu Servanne qu’Hervann et semblait concentrer son attention sur lui.
« - Si tu avais un brin de bon sens, t’en prendrais dix au hasard. Allez, dix c’est rien. » Il s’accorda un instant, comme pour vérifier que les quelques agents déjà présents appréciaient le spectacle. « De toutes manières, c’est tous les même, cette sale engeance, alors ceux là ou d’autres… Et tu les envoies vite au juge. Comme ça tu pourrais te concentrer sur de vraies affaires.
- Oh ? Comme retrouver le chat d’une gamine qui, par un hasard vraiment époustouflant appartient à l’une des plus riches familles de la ville ? Et ça au lieu de patrouiller ? On m’a dit que tu avais reçu deux deniers en dédommagement de ta peine.
Haensel grogna et jeta un coup d’œil vers la porte du fond. Les agents remplissaient peu à peu la salle. On pouvait entendre le bruit des plumes studieuses qui remplissaient les rapports, le murmure des conversations. Les derniers ragots se propageaient à toute vitesse. Les agents échangeaient les résultats de leurs patrouilles en se pressant près de la bouilloire. Certains optimistes essayaient de trouver une position pas trop inconfortable sur les chaises. La réflexion de Servanne allait faire le tour de la brigade avant que dix heures aient sonné.
« - Y’a pas de raison », grogna Haensel, ses joues de boulledogue frémissantes de rage. « On est là pour servir tous les citoyens ».
Servanne aurait sans doutes répliqué, mais le brigadier Kaendre toussota pour ramener le silence. Hervann se cala dans sa chaise et attendit que la revue des évènements de la nuit se passe. Lentement, la lumière grise du jour remplaçait celle jaune sale des lampes à huile. Hervann retenait difficilement un bâillement. Le capitaine énumérait tous les incidents de la nuit et annonçait les assignations pour le prochain service. Il s’agissait de ne pas s’endormir avant d’avoir entendu son nom. Cette nuit comme toutes les nuits précédentes, les patrouilles s’étaient faites insulter par des ferens, et aucun n’avait été attrapé. L’agent Jocelyn avait reçu un pavé au visage pendant sa ronde sur l’avenue Eresvan. Un docteur avait été appelé, mais on ne savait pas encore s’il allait survivre. Sous le choc, il était tombé à la renverse et sa tête avait heurté violemment le sol. Il ne s’était toujours pas réveillé. Un groupe d’agents mené par le détective Andry avait arrêté six jeunes gens suspectés d’être des chasseurs de pauvres. Il fallait des volontaires pour les interroger. Vol chez un joailler et un autre dans la maison de Sir Yrestan. Quatre agents et deux détectives là-dessus dès la reprise du service. Donc Lormont et Stadet avec les agents de leur choix. Un quatrième incident en cinq semaines à la mine. Servanne sur l’affaire. Le divisionnaire Devret veut un rapport détaillé, mais attention où tu mets les pieds, le terrain est sensible. Enfin, agitation anormale chez les ferens. Les jeunes qui ont jeté des pavés au visage de la patrouille hurlaient des choses à propos de révolution. Donc grande prudence pour tous et ouvrez l’œil. Oh, et les agents Gimart et Hervann sont désignés volontaire pour superviser la distribution de nourriture aux nécessiteux. Ce sera tout, n’oubliez pas de remettre vos rapports avant de partir.
Hervann soupira de nouveau, et brossa machinalement son pantalon du plat de la main en se relevant. En vain. Il allait sans doute devoir payer un supplément de lessive pour faire partir tout ça. Il s’étira vaguement et tenta de se remettre les idées en place. Il ne connaissait pas vraiment l’agent Gimart Eskenazy. Ils avaient dû échanger deux trois mots à l’occasion de permutations de poste, mais ils n’avaient encore jamais été envoyé en mission ensemble. Hervann espérait vraiment qu’il serait de bonne compagnie. Il n’avait pas envie de passer toute la distribution à endurer des réflexions sur le parasitisme galopant des pauvres. Surtout des ferens, comme par hasard. Hervann ne parlait pas souvent en présence des autres agents, ce qui lui avait valu une réputation de caractère égal, à la limite de la bêtise. Mais il préférait encore ça à ces rumeurs d’acoquinement avec des chasseurs de pauvres. Ceci dit, ce n’était pas comme ça qu’il allait monter en grade.

L’agent Gimart se révéla être de meilleur compagnie qu’Hervann ne l’avait craint. Déjà, il n’avait rien contre le mutisme de son camarade, et se satisfaisait tout à fait des monosyllabes d’Hervann en guise de réponse. De plus, il aimait bien parler de choses sans importances, comme les chats, sa fiancée, les derniers potins de la brigade… Rien que de très reposant pour les oreilles.
Arrivé à un coin de rue assez éloigné du post, Gimart s’arrêta pour laisser passer un groupe de mineurs, et se tourna vers Hervann.
« - Tu sais, tu ne devrais pas prendre au sérieux ce que dit Haensel ».
Pas de réponse, Hervann bataillait avec les boutons de sa capote.
« - Je t’ai vu quand il est venu parler à Servanne. Tu faisais une tête d’enterrement.
Hervann avait fini de fermer son manteau et avait repris la position de l’agent en patrouille, la tête droite, les mains derrière le dos.
- Je pense que ses propos dépassent parfois sa pensée.
- …Souvent.
- Oui, souvent c’est vrai, mais bon, pour aujourd’hui… Tu connais Jocelyn ? Celui qui s’est pris un pavé dans la tête ?
- Un peu.
- Eh bien il était en patrouille avec Haensel quand c’est arrivé. Il avait insisté pour l’emmener patrouiller en bas. Pour lui apprendre les réalités de la vie, il a dit. Et du coup Jocelyn a appris la réalité du pavé dans la gueule.
Aucune réponse, le visage d’Hervann était aussi neutre que si Gimart lui avait parlé du temps qu’il faisait.
- Je pense qu’il s’en veut. Après ça, il nous a demandé de le ramener chez lui au plus vite et il est allé lever un médecin à coups de pieds dans le cul. Le médecin n’arrêtait pas de s’en plaindre, quand il est arrivé. Et il a réussi à dégoter deux deniers d’or pour qu’il vienne l’examiner. C’est pas un si mauvais type.
Pas de réactions. Hervann regardait les nuages. Allait-il pleuvoir ? Peut-être pourrait-il rincer son uniforme, comme ça.
- Enfin, je dis ça pour toi. Si tu dois bosser avec lui.
Hervann regardait toujours au dessus de sa tête Gimart se tut, et se remit à marcher, en silence, cette fois. La grisaille s’éclaircissait de plus en plus. De la rue Aubach, ils descendirent dans la rue des Marioules, puis, toujours au pas, remontèrent l’avenue des Marchands. Le silence se faisait étouffant. Il n’y avait encore personne sur la place quand ils y arrivèrent. Les pavés irréguliers luisaient, encore humides de la pluie de la nuit. L’église se dressait de l’autre côté de la place, sombre et miteuse en comparaison des boutiques et des cafés alentours. Les godillots des policiers claquaient sur les pavés mouillés. Habitué à assister aux distributions, Hervann se dirigea vers la porte du presbytère pour signaler sa présence au bedeau. Derrière lui, Gimart s’était un peu renfrogné. Hervann haussa les épaules. Ils avaient encore une partie de la matinée à passer ensemble. Ce n’était pas vraiment gentil de le laisser croire qu’il faisait équipe avec un mur. « Je tâcherait de garder ça en mémoire », lâcha-t-il alors que la porte s’ouvrait.

mercredi 3 septembre 2008

Le drame du réchauffement climatique.


Voici, pour changer, quelques dessins sur le thème sus-mentionné que j'ai fait sur post-it, histoire de.


Perso, je trouve que j'ai eu raison de choisir l'écriture.

Voici la feuille originale où j'ai tout stocké.


Chaque dessin est en plus grand en dessous (si blogger le veut bien).




Pingou et les joies du soleil



Mais la banquise ne lui réussit pas non plus




Heureusement, Pingou se fait de nouveaux amis




lundi 1 septembre 2008

Seuils (Partie 1)

Et voici la première partie de ma longue histoire.
Je n'ai pas trouvé de titre définitif.
Faute de mieux, Seuils, c'est bien.


La mer était faite de cubes violets translucides. Les pieds enfoncés dans le sable, Samain ne pouvait pas s’empêcher de la regarder. Le Frère qui faisait l’école avait expliqué un jour que la mer était une grande étendue d’eau salée. Pourtant, Samain savait avec certitude qu’elle était bien devant la mer, cernée par des dunes de sable noir. Une chose pratique, avec les rêves, c’est qu’on savait toujours exactement où l’on était, même si la géographie défiait le sens commun. Samain avait arpentée de nombreuses fois La Faille, à travers les rêves, et à chaque fois la ville n’avait rien à voir avec la réalité. Et même d’un rêve à l’autre, elle n’était pas reconnaissable. Tantôt verticale et s’étendant à perte de vue, tantôt réduite à une rue, noire ou chamarrée. Sans cette certitude absolue de savoir où l’on est, Samain ne se serait jamais douté qu’il s’agissait de la même ville.
Et pour l’instant, elle faisait face à la mer. Il avait bien de la chance, celui qui était allé jusqu’aux côtes pour la voir. Autant qu’elle se souvienne, Samain n’était jamais sortie de La Faille. La vraie mer était sans aucun doute très différente de ce rêve, comme La Faille l’était de ses versions oniriques, mais Samain était quand même heureuse de la voir. Ses chaussures à la main, elle entreprit de suivre la grève. Le rêve allait sans doutes changer bientôt, il fallait chercher le seuil pour repasser de l’autre côté. Dans le ciel, deux oiseaux d’un rose soutenue passaient en chantant, et Samain sût immédiatement qu’il s’agissait d’autruches.

L’eau léchait la plage. Samain ramassa un cube translucide, qui glissa le long de ses doigts et tomba sur le sable, où il disparut aussitôt. Dommage qu’elle ne puisse pas ramener un cube avec elle, elle aimait beaucoup cette couleur. Les distances se modifiaient rapidement, maintenant, le rêveur devait se déplacer quelque part dans le songe. Soudain perchée en haut d’une dune, Samain vit un enfant courir le long de la plage avec un cerf-volant. Le rêveur. Samain aurait bien aimé connaître la personne qui faisait de si jolis rêves, mais elle n’allait pas le déranger en plein milieu. Par ailleurs, elle venait de repérer une maisonnette en bois bleu, en haut d’une dune voisine. Le sable s’éclaircissait à son niveau, et quelques herbes perçaient tout autour. Un point de jonction. Elle pourrait l’utiliser comme seuil.
Samain tourna le dos à l’enfant et se remit en route, observant le ballet compliqué des autruches dans le ciel. C’était vraiment un joli rêve. Samain regrettait de devoir déjà partir, mais elle avait faim. Elle ne savait pas quelle heure il était. Samain avait longtemps cru que les moments où de nombreux rêves apparaissaient correspondait au plus profond de la nuit. Mais en fait, cela n’avait aucun rapport. Il y avait toujours des rêves. Dès que Samain passait un seuil, même en pleine journée, il y avait des rêves. Samain préférait cependant rester dans les rêves légers de la surface. Les songes profonds et anciens l’inquiétaient. Ils ne semblaient même pas être vraiment rêvés par une personne. C’était plutôt comme si le rêve de quelqu’un se glissait soudain dans les sillons laissés par un vieux songe, et la personne revivait la même histoire, avec cependant ses propres personnages et lieu. Samain détestait se retrouver dans un songe au détour d’un rêve. Surtout qu’elle avait toujours du mal à trouver un seuil pour s’en extirper. Enfin, jusqu’ici, elle s’en était toujours sortie, et elle en était assez fière.
Tout en réfléchissant, elle était arrivée à la maison en bois. De près, elle n’était plus si petite, et des pierres transparaissaient sous les planches. Plusieurs rêves s’étaient manifestement rejoints au niveau de cette maison. Mais le petit garçon semblait bien peu s’en préoccuper. En tournant la tête, Samain pouvait le vois courir dans les vagues de cubes violets. Bon, où allait-elle retourner ? Pas dans une ruelle, il y avait beaucoup de chasseurs de pauvres en ce moment, elle ne tenait pas vraiment à être ramassée. Ni sur la place aux ânes, il y avait toujours le risque de tomber sur un frère en goguette. Sans parler des marchands. Non, le mieux serait un toit. Un bon toit bien plat où elle pourrait dormir en sécurité. Voilà. Gardant cette idée en tête, Samain poussa la porte et passa le seuil.

Sur La Faille, le soleil se levait tout juste. On le sentait à la froideur de l’air plutôt qu’à la lumière. L’horizon était caché par les fumées noires de la mine. Dans quelques minutes, le noir se muerait en gris et les préposés aux becs de gaz sortiraient de leurs maisons pour aller les éteindre. Samain ne blottit contre une cheminée. Il allait falloir attendre un peu avant de pouvoir descendre. Elle avait déjà eu du mal à semer un groupe de chasseurs de pauvres vers minuit. Elle n’avait dû son salut qu’à une fenêtre providentielle par laquelle elle avait passé le seuil. Elle ne tenait pas vraiment à renouveler l’expérience après avoir passé près de six heures dans les rêves, et en plus avec l’estomac vide. Frissonnant, elle frotta ses mains l’une contre l’autre. Elles devenaient plus pâles de jours en jours. Samain se demandait si sa peau allait finalement prendre sa vraie couleur. Ce serait bien pratique, sans aucun doutes, de ressembler enfin à une vraie feren. Quand bien même elle aurait préféré, tant qu’à faire, être humaine. Sur ces pensées peu réconfortantes, Samain s’endormit.

Parfois Samain rêvait par elle-même, parfois elle se retrouvait de nouveau dans les rêves des autres. C’était assez ennuyeux, parce qu’elle se réveillait toujours fatiguée, après de telles escapades. Et elle sentait qu’elle allait se réveiller très très fatiguée. Au départ, elle avait cru être dans un rêve normal. Un rêve qui se passait à La Faille. Après tout, on ne peut pas toujours voir quelque chose d’aussi exotique qu’une plage, n’est-ce pas. Elle avait donc entrepris de se déplacer dans les rues. Manifestement, elle était dans le quartier Charbon. Plein de petites maisons délabrées serrées les unes contre les autres, et des ombres massées sous les porches sombres. Sans doute les prostituées et les membres des gangs. Pour une fois, le rêve était plutôt réaliste, Samain aurait reconnu le quartier même sans cette certitude immanente. Pourtant, il avait quelque chose de bizarre, ce rêve. Déjà, les éléments tremblaient et quand on les regardait de plus près, on s’apercevait qu’il s’agissait d’une seule chose, mais vue de nombreuses manières différentes. Devant les yeux attentifs de Samain, une poignée de porte changea cinq fois de forme en une poignée de secondes. Comme si de nombreuses personnes étaient en train de rêver exactement de la même chose au même moment, ce qui est normalement impossible. Enfin… Autant qu’elle sache, Samain ne l’avait jamais encore vu. Et puis il y avait un bruit étrange. La scène était muette, pourtant Samain entendait comme une voix indistincte. Et, ce qui était énervant, dans les rêves, c’est qu’ils n’étaient pas logiques. En tous cas, pas souvent. Le son venait de partout. Samain devinait des bribes d’argot, des accents agressifs. Elle se mit à courir. Sans aucun doute, elle était dans un cauchemar. Il fallait qu’elle passe sous le porche le plus proche, il y aurait sûrement un seuil pour sortir. Mais à peine avait-elle commencé à courir que la scène changeât. Il y avait des policiers armés à un bout de la rue, des férens dressant une barricade à l’autre. Au milieu, les corps laissés sur place quand les opposants s’étaient séparés. Un rêve d’émeute. Ce n’était pas bon. Samain avait vu les émeutes, à l’époque. Beaucoup de monde était mort. Bientôt, la police allait mener la charge, et les insurgés seraient abattus sur place. Déjà, ils se rassemblaient au bout de la rue, ces grands humains, aux bras gros comme des jambons. Ils avaient des lances et des épées. Ile ne feraient qu’une bouchée des frèles ferens armés seulement de battons et de pavés.
Etrangement, voilà que des ferenes éplorées arrivaient au milieu du combat et se jetaient sur les morts en se lamentant. « Quelles idiotes ! » Se dit Samain. Ne voyaient-elles pas qu’elles allaient se faire réduire en charpie ? Quelle idée de se jeter comme ça au milieu du combat pour des gens déjà morts. Si la police donnait la charge, elles seraient les premières victimes… Et Samain aussi. Les deux côtés de la rue étaient bloqués. Si elle ne trouvait pas un seuil très vite, elle allait mourir en rêve. On lui avait toujours dit que c’était impossible, mais Samain n’en croyait pas un mot. Seulement, si elle arrivait à s’enfuir des cauchemars d’habitude, c’est parce que les monstres ne chassaient que le rêveur. Si la police donnait la charge, dans ce rêve là, elle serait broyée avec les autres. Les autres s’en fichaient parce que pour eux ce n’était qu’un rêve, mais Samain, elle était vraiment là, elle le savait. La charge de la police n’était qu’une question de temps. Et cette fichue voix qui martelait des mots qu’elle n’arrivait pas à entendre !
Samain prit une grande respiration, et se mit à courir en direction de la barricade. De l’autre côté, il y aurait sûrement un porche, une porte, un seuil, quelque chose. Derrière elle, elle entendait les bottes des policiers marteler le sol. Ils venaient de lancer l’attaque. Sur la barricade, l’agitation était grande. Ils la rattraperaient avant qu’elle puisse passer la barricade, Samain le savait. Dans sa précipitation, elle ne fit pas attention au fait que sa capuche était tombée. Ses yeux bruns restaient fixés sur la barricade, où les ombres fines des combattants semblaient réaliser une chorégraphie étrange. Soudain, un jet de feu jaillit du haut de la barricade, Samain le vit traverser l’espace, laissant un sillon de fumée derrière lui, dans le plus grand silence. Elle entendit seulement un petit bruit derrière elle quand le projectile heurta quelque chose, puis un bruit plus sourd, indiquant que quelque chose était tombé. Mais elle n’était plus qu’à dix mètre de la barricade. Elle pouvait y arriver. D’autres jets de feu jaillirent en face d’elle, plus nombreux à chaque instant. Samain comprit que les Ferens la tueraient aussi bien. Après tout elle n’était pas comme eux. Elle se jeta à terre en un mouvement désespéré pour éviter les tirs. Derrière elle, le bruit de charge avait cessé. Samain jeta un coup d’œil en arrière. Les policiers gisaient sur le sol, tous morts jusqu’au dernier. Comme la plupart des personnages de rêves, ils n’avaient pas un visage précis. Ils représentaient juste une idée. Mais cela était encore plus effrayant. Bizarrement, les femmes qui étaient restées au milieu de la rue pendant la charge étaient indemnes. Elles se relevaient et louaient les héros. Des chants silencieux éclataient dans la foule, pendant que la voix indistincte martelait et martelait encore ce rêve.
Samain se releva tant bien que mal. La foule s’était mise à marcher. Peu de monde faisait attention à elle. Déjà, ils n’étaient plus dans les quartiers Ferens mais dans ceux des humains. Les flancs de la mine étaient loin derrière eux. Samain avait beau faire, elle n’arrivait pas à s’extirper de la foule. Heureusement, celle-ci finit par s’arrêter. Samain le sut tout de suite, ils étaient devant le palais. Et à un balcon, un Feren brandissait la tête du roi. Des exclamations silencieuses éclatèrent alors. Samain jouait des pieds et des mains, mais rien à faire. La foule croissant sans cesse. Impossible de s’en sortir. Soudain, Samain vit son salut : elle se jeta à quatre pattes et entreprit d’ouvrir la plaque d’égouts posée au sol. Au moment où elle s’y engageait, la scène changea encore. Il y avait un jeune feren sur le sol trempé de la rue. Il était mort, manifestement. Du sang coulait de sa bouche et d’une longue blessure à sa poitrine. Devant lui, un policier tenait un couteau. Samain s’accrocha à sa bouche s’égout et passa le seuil avant qu’il ne disparaisse dans la nouvelle scène. Mais elle avait eu le temps de comprendre un mot dans le martellement. Sacrifice.

Samain se redressa d’un bond. Dans son sommeil, elle s’était recroquevillée le long de la cheminée. Comme prévu, l’obscurité avait fait place à la grisaille. En début de matinée, il y aurait une distribution de soupe pour les nécessiteux à la place aux ânes. Il valait mieux se mettre en route maintenant, avant qu’il n’y ait trop de monde dehors. Secouant ses muscles endoloris, Samain descendit la pente du toit la plus proche du sol. La Faille était construite à flan de montagne. A part dans les hauteurs des quartiers des humains, il y avait toujours un morceau de toit qui n’était pas trop loin du sol. Un mètre, deux mètres, trois au maximum. Rien qui ne puisse être descendu en s’agrippant à une gouttière. Et Samain était plutôt douée pour ça. A force de les arpenter en long et en large, elle se sentait en confiance sur les toits. Et on y croisait peu de monde, ce qui était un avantage indéniable. Mais pour rallier la place aux ânes, Samain préférait utiliser la rue, quitte à se faire injurier ou jeter de la boue au visage. Les policiers aidaient à la distribution, elle ne tenait pas à se faire remarquer en arrivant le long d’une gouttière.
Samain rabattit machinalement son capuchon. Ses mains désormais pâles ressemblaient assez à celles d’un Feren, mais si quelqu’un voyait ses yeux, il comprendrait tout de suite qu’elle n’était pas normale. Des Ferens aux yeux bruns, ça n’existe pas. Ses cheveux avaient posé problème, au début, mais Samain avait assez vite eût l’idée de se les noircir au charbon. Elle avait bien essayé de se noircir les mains, également, mais les frères exigeaient qu’on se les lave avant recevoir de la nourriture. Et puis, de toute manière, la peau de son visage était toujours trop foncée. Enfin, peut-être pas, maintenant, mais ça faisait un moment que Samain n’avait pas pu se regarder dans un miroir. Le capuchon était une bonne solution, tant qu’elle ne devait pas entrer quelque part. Mais qui inviterait Samain à entrer chez lui ? La jeune fille haussa les épaules tout en marchant. Ses épaules, un autre sujet de tracas. Avec sa taille. Samain avait la taille d’une Feren adulte, et elle savait plus ou moins confusément qu’elle continuait de grandir. Oh, une fois à sa taille définitive, elle serait sans doute juste un peu plus grande qu’une Feren. Pas de beaucoup, mais suffisamment pour que ça se remarque. Inversement, elle était trop menue pour être humaine, et ses pommettes hautes et ses oreilles légèrement pointues indiquaient une ascendance feren. Pour le moment, Samain faisait son affaire avec un capuchon rapiécé et des vêtements amples. De toutes manière, les aurait-elle voulus moulant qu’elle n’aurait pas pu en choisir d’autres. Elle les avait eus à l’orphelinat, à l’époque. Et il ne risquait pas d’y avoir de nouvelle distribution. De toute manière, même si l’orphelinat était reconstruit, elle était sans doute trop vieille, maintenant, pour y avoir encore sa place. Et avec une apparence pareille, elle ne risquait pas de trouver du travail. Même comme prostituée. Les mâles aimaient les humaines ou les ferenes, mais pas le mélange des deux. Samain pensait parfois à son avenir, mais seulement pour s’imaginer finir brutalement sous les coups d’un chasseur de pauvre ou d’un saoulard. Ou encore périr d’un mal de poitrine. Rien ne bien excitant. Cela avait tendance à la contrarier. Elle frappa un caillou du pied. Le caillou rebondit contre un arceau blanc qui rendit un son métallique. Samain leva les yeux. La ville avait laissé place à une prairie. Elle avait de l’herbe jusqu’aux épaules. Magnifique, elle avait encore passé le seuil sans faire attention. Elle n’avait pas dû voir qu’elle passait sous une arche, perdue dans ses pensées. Ca lui arrivait de plus en plus souvent. Un bourdonnement se fit entendre, et un insecte gros comme la tête de Samain fit son apparition entre les tiges. Elle prit une grande inspiration, et courut comme une dératée jusqu’au portique. Elle pourrait l’utiliser comme seuil. Elle réfléchirait plus tard. Derrière elle, l’insecte continuait son chemin, indifférent à la forme noire qui se ruait à travers l’étendue verte. De toute façon, elle avait déjà disparue.

Dans la grisaille de la ville, Samain reprit son souffle. Elle n’avait pas réfléchi en passant le seuil, aussi était-elle arrivée devant l’église de la place aux ânes. Une chance que personne ne l’ait vue. Autant qu’elle puisse l’observer, dans la lumière chiche, la place était déserte. Toujours haletante, elle se laissa tomber sur une des marches et se recroquevilla contre le mur de l’église. Elle était arrivée plus tôt que prévu, peut-être allait-elle pouvoir dormir un peu, avant que la distribution ne commence ? La chatte du bedeau ne tarda pas à venir se pelotonner sur ses genoux, ronronnant comme si sa vie en dépendait. Lentement, le gris devenait plus clair et les bruits de la ville se faisaient entendre avec insistance. Les mineurs venaient de partir, comme une procession tacite. Une marée de bérets noirs qui déferlait sur le fond de la ville où se trouvait l’entrée de la mine. Ca et là, Samain pouvait voir l’éclat blanc de la chemise d’un contremaître. Et encore, il y avait peu de mineurs à ce niveau de la cité, dans le quartier charbon, chaque matin ressemblait à un exode. Juste après, les employés passeraient, et les boutiques commenceraient à ouvrir. On verrait encore quelques silhouettes courir pour aller attraper le tram qui les amènerait dans la partie haute de la ville. Puis les marchands arriveraient. Et les dames de bonne famille qui s’occupaient de la distribution de nourriture avec les frères. Les policiers arriveraient soit avant elles, soit après. Tout dépendait de ce qui s’était passé au cours de la nuit.