mardi 11 novembre 2008

Moïra (Partie 2)

Les pas de La Brute s’éloignèrent en direction de la cuisine, ignorants de la présence de Moïra. Elle se dépêcha de remonter le couloir. Elle devait avoir perdu une minute entière. Heureusement, elle avait préparé ses affaires la veille et le rituel lui permettait de gagner du temps. D’abord elle mettait ses chaussettes, puis sa culotte et son pantalon. Ensuite, elle enlevait ses mains des manches de la chemise de nuit et du pull qu’elle portait au dessus, et mettait son soutien-gorge sans les enlever. Quand elle n’avait plus le choix, elle frissonnait dans la pénombre de la chambre le temps qu’elle arrive à enfiler son T-shirt et son pull pour la journée. Il était 6h45. Il lui restait juste cinq minutes. Le halo jaune de sa lampe de chevet dessinait les limites de son petit monde. Elle y avait coincé tout ce qui était important, caché entre le lit et l’étagère. Cyrano de Bergerac, une peluche en forme d’ours clown que les mamans lui avaient offerte il y a longtemps. Chacun avait la sienne. Celle de Moïra était jaune. C’était loin d’être sa couleur préférée, mais Cendrine avait eu la bleue. Et puis, avec le temps, elle s’y était attachée. Enfin, il y avait sa brosse. Au premier abord, elle était laide. Ce n’était pas une de ces petites brosses ovales aux couleurs pastelles qu’on trouve sur les tables de nuit des petites filles sages et des poupées. C’était une grosse brosse rectangulaire et noire. Et c’était peut-être aussi l’attention la plus précieuse qu’elle avait reçu de la part de La Brute.
Au début, quand elle avait commencé à se laisser pousser les cheveux, Moïra avait « emprunté » la brosse de Cendrine. Après tout, elle se les était coupés, alors elle n’en avait plus besoin. Et puis avec le temps, la brosse avait fini par se casser irrémédiablement, malgré toutes ses précautions. Moïra avait alors rassemblé tout son courage, et le soir, en rentrant des cours, elle était entrée dans le salon, et avait demandé à ce qu’on lui en rachète une. Le samedi suivant, La Brute était entré en coup de vent dans la chambre et avait lancé quelque chose sur son lit, en lui reprochant ses caprices incessants. C’était la brosse. Moïra y repensait chaque fois qu’elle la passait dans ses cheveux. La Brute avait beau eu l’attaquer et la moquer, elle lui avait quand même choisi une brosse solide et pratique. Moïra voulait y voir une preuve une preuve de bonne volonté de sa part. Une reconnaissance de ses besoins, peut-être.
Il était l’heure. Moïra attacha sa pince, attrapa son sac, et fila dans le couloir. Elle le tenait serré contre elle, pour éviter qu’il touche quoi que ce soit. Même maintenant, il fallait faire attention à ne pas faire de bruit, passer en fantôme, sans se faire remarquer. La porte de la salle de bains était ouverte. Moira pouvait entendre le bruit de la douche. La Brute ne la verrait pas. Elle se hâta jusqu’au placard de l’entrée. Encore un peu et elle serait dehors. La Brute avait encore bougé ses chaussures. Elles n’étaient plus dans l’étagère où elle les avait laissées, mais par terre, à la merci des chats. En hauteur, les baskets de la brute trônaient. Il était temps qu’elle sorte. De plus, la porte anti vol était un challenge particulièrement difficile. Surtout si La Brute était dans les alentours. Il fallait maintenir le penne en position ouverte en appuyant avec la clé, et contenir la porte, qui avait tendance à se refermer en claquant pour que personne ne soit dérangé. Naturellement, Maman et La Brute laissaient la porte claquer quand elles partaient. Mais Moïra n’avait pas le droit. Ca lui prenait presque une minute entière tous les matins. Malgré tous ses efforts, le résultat dépendait du bon vouloir de La Brute. La sortie la plus silencieuse au monde n’aurait pas grâce à ses yeux si elle était de mauvaise humeur. Le truc, c’était de ne pas respirer, et d’amortir doucement le mouvement avec les deux mains Voilà qui était fait, la porte s’était posée avec délicatesse sur son chambranle. Elle espérait que ce serait suffisant.
Moïra ne prenait jamais l’ascenseur. Officiellement parce qu’il s’agissait d’une affreuse boîte à sardine de 80cm de profondeur pour 1m de large où toute personne sensée se sentait étouffer. Officieusement, elle avait rendez-vous avez elle-même dans les escaliers. Les sept étages offraient un terrain parfait. Les marches tournaient à un rythme régulier. Accroché à la rampe, son corps savait ce qu’il avait à faire. Eva n’avait qu’à allumer la lumière et à se laisser descendre. Pendant la précieuse minute et quelques secondes qu’elle mettait à atteindre le rez-de-chaussée, elle pouvait rejoindre ses rêves. Où s’en était-elle arrêtée la veille déjà ? Avait-elle repris la trame d’un comics pour s’endormir ? Ou alors elle avait refait Cyrano de Bergerac ? Non, elle avait pris le monde de Terrabhin. Son préféré, en ce moment. La scène était fixée, son corps se lança. Dans le dortoir d’une auberge de Torïnd des voix se faisaient entendre.

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