mardi 11 novembre 2008

Seuils partie 4

Samain s’en voulait, elle avait laissé sa robe derrière elle. Mais elle n’avait pas vraiment le choix. Elle avait refait le rêve. Et quelqu’un avait pu la voir à l’intérieur, ce qui était impensable. Seulement, les choses les plus impensables semblaient s’être donné rendez-vous dans ce rêve là en particulier, à commencer par ce garçon dont on voyait le visage sans aucune fluctuation. Quelqu’un le rêvait, et plus particulièrement il rêvait son assassinat. Et pire encore, ce quelqu’un avait repéré Samain. Elle ne savait pas comment. Elle l’avait senti tourner son attention vers elle, et la Voix avant demandé qui elle était, et ce qu’elle savait. Elle avait cru mourir, paralysée par les accents impérieux qui raisonnaient dans les moindres recoins de son corps. Elle avait ouvert la bouche pour la supplier. Elle avait ouvert la bouche, mais elle n’arrivait pas à crier. Elle se sentait perdre rapidement consistance, comme si la Voix la déchirait pour voir ce qu’elle avait à l’intérieur d’elle. Elle avait voulu serrer les poings, mais elle n’arrivait pas à bouger le moindre muscle. Elle était restée immobile, pendant que la Voix se fondait dans une des formes, prenant l’apparence d’une gigantesque ombre de feren. Et elle avait su qu’il allait l’attraper et regarder tout ce qu’elle était, puis la laisser morte dans le rêve. La rue devenait de plus en plus sombre. Les murs et les pavés se refermaient sur elle. Elle allait se faire écraser. Elle essaya encore de crier, mais sans succès.
Et tout d’un coup, elle avait sentit un choc l’ébranler au-delà même du rêve. Aussitôt, l’étreinte de l’ombre s’était relâchée. Elle s’était dressée, avait crié à la Voix de la laisser, qu’elle ne dirait rien. Et là… Là elle s’était rendue compte qu’elle était vraiment revenue. Et il y avait un homme qui la tenait. Un homme avec un uniforme. Elle avait paniqué et passé le seuil le plus proche sans prendre la moindre précaution. Ce qui était exactement ce qu’il ne fallait pas faire. Samain ne tenait pas à attirer l’attention sur ses petits talents. Surtout celle d’un policier. Tout le monde savait qu’ils travaillaient avec les casseurs de pauvres. Mais celui-là, elle l’avait déjà vu. Il venait souvent surveiller les distributions. Ce qui ne voulait absolument pas dire qu’il était digne de confiance. Surveiller les pauvres ne voulait pas dire qu’on les aimait, loin de là. Mais d’un autre côté elle allait avoir besoin d’aide, et un policier semblait être la personne la plus indiquée pour se confier. Sauf qu’il ne la croirait pas. Et même s’il le faisait, il ne verrait qu’une demie capable de faire des tours de passe-passe. Une nuisance en puissance pour les humains. Samain secoua la tête. Elle était assise sur un tronc d’arbre abattu par la tornade marron chocolat qui se déchainait encore au loin. D’autant qu’elle puisse en juger, elle était sur un promontoire rocheux. Elle savait qu’il avait été une île dans un lac. Mais la tornade était venue, et elle avait emporté toute l’eau. La végétation, le sable, la vase au fond du lac, tout avait désormais une étrange teinte marron. Le soleil était d’un rouge maladif. Ici et là, la boue glissait et révélait des fleurs violettes, qui rappelèrent à Samain le rêve du petit garçon à la mer. Elle serait bien restée dans celui-là. Il avait une saveur douce et triste. Ici, la violence affleurait sous la boue. Samain pouvait la sentir. Et elle savait ce qui allait arriver. La tornade allait faire demi-tour et revenir vers l’île. Elle serait si violente que celle-ci se fracasserait comme un morceau de pierre poreuse. Il fallait trouver un Seuil avant. Samain se redressa. Elle n’avait aucun moyen de descendre sans se faire mal. Les parois étaient abruptes, et des épines marron enserraient désormais les flancs de l’île, coupant toute retraite. Samain était de plus en plus inquiète. L’angoisse instillée par le rêve se mêlait à la sienne et la renforçait. Elle était sûre que la Voix la retrouverait. Il fallait absolument qu’elle change de rêve avant qu’il ne la repère. Déjà, la tornade marron amorçait son retour dans un bruit de tonnerre, l’eau revenant du fond de l’horizon avec la force d’un taureau furieux. De lourds nuages masquaient le soleil rouge. Prenant son courage à deux mains, Samain courut vers la partie du promontoire qui surplombait la plage. Toute frontière était un seuil. Alors il devait y avoir un seuil entre la pierre et le vide. Essayant de ne pas penser aux vagues qui déferlaient désormais sur l’île, faisant vaciller le promontoire, elle sauta.

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