lundi 29 septembre 2008

Seuils (Partie 3.2)

Hervann était mort d’ennuie. Il en était absolument sûr, d’un instant à l’autre, son âme allait s’échapper de son corps pour fuir ce flot de babillage. D’habitude, les policiers passaient le temps de la distribution à discuter des affaires en cours, ce qui tenait éveillé. Ils appelaient ça le jeu du détective. Il s’agissait de trouver les coupables avant les détectives en titre, histoire de prouver que les agents n’étaient pas qu’une bande d’incapables en uniformes. Ca permettait toujours de passer le temps et c’était plutôt amusant, même si les affaires en cours étaient plus inquiétantes qu’autre chose. Et les habitants se montraient de plus en plus méfiants en voyant un uniforme. Autant les humains qui les accusaient de protéger des criminels Ferens assoiffés de meurtre que les feren qui les accusaient de faire usage de violence contre eux. Sans parler de ces histoires de sabotage dans lesquelles l’incapacité de la police à faire quoi que ce soit était unanimement pointée du doigt par les deux communautés. Porter un uniforme était devenu extrêmement inconfortable, même quand il n’était pas couvert de poussière de charbon, et chaque jour, de nouveaux agents démissionnaient, quand ils prenaient la peine de revenir l’annoncer. Et pour couronner le tout, alors que Hervann ne souhaitait qu’une chose : aller s’enterrer dans son lit pour quelques heures, voilà qu’une bonne femme empâtée venait leur parler tricot et dons aux nécessiteux. Et le pire, c’est qu’elle avait l’air de trouver ça passionnant. Un instant, il se rêva en train de pousser la grosse dame dans la flaque de boue la plus proche. Peut-être arrêterait-elle de parler de la meilleure laine à utiliser, ou des motifs ridicules qu’elle faisait sur les mitaines. Sans parler de la manière absolument rageante dont elle parlait des Nécessiteux. Un rare mélange de pitié et de mépris qui donnait à Hervann des idées très arrêtées sur ce qu’il ferait une fois qu’il aurait bien roulé son gros corps dans la boue. C’était à se demander ce qu’elle pensait de son uniforme crasseux. Sans doute le classait-elle dans les nécessiteux, lui aussi ? Un coup de coude bien placé finit par le faire revenir à la réalité. Gimart lui adressait des regards alarmés tout en gardant un sourire poli aux lèvres.
« - Excusez-moi, mais est-ce qu’il vous resterait un peu de soupe, peut-être ? Nous n’avons rien mangé depuis hier soir ».
Avec des petits cris d’affolement, la femme s’empressa de retourner vers les tables à tréteaux ses talons résonnant cruellement sur les pavés de la place.
« - Profites-en pour te cacher derrière le coin de l’église, souffla Gimart. Je dirai que tu es parti faire une ronde ».
Sans demander son reste, Hervann se glissa de l’autre côté du mur, et inspira un grand coup. L’endroit était calme, abrité du vent et des regards. Hélas, la place était déjà prise. Serré contre le mur de l’église, un gamin semblait profondément endormi. A moins que ce ne soit une fille ? C’était difficile à dire, il avait une capuche. Sans doute était-il le propriétaire du journal qui trainait à côté de lui. Bah, se dit Hervann en s’installant. Il ne l’utilisait pas pour le moment. Il ne pourrait pas lui en vouloir de l’emprunter un peu.

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