lundi 29 septembre 2008

Seuils (Partie 3.3)

Comme prévu, la femme du comité babillait tant qu’elle pouvait sur les enfants déshérités, et la nécessité d’être généreux. Samain avait fini sa soupe et sa tartine, et le feuilleton n’avait pas duré longtemps. Quel dommage qu’elle n’ait pas le journal du jour, elle avait vraiment envie de savoir la suite. Les nouvelles étaient absolument rasantes. Un journaliste avait écrit un grand article où il dénonçait les « velléités révolutionnaires de certaines franges de la société », tout en se plaignant de « l’ingratitude des masses, dû à leur manque d’éducation consternant ». Par ailleurs, un étranger, apparemment, avait écrit un long courrier en partie publié dans les dernières pages du journal. Il était présenté comme un « dangereux agitateur social », et prédisait « le soulèvement des masses opprimées comme un cheval rendu fou par la douleur finit par rompre ses liens ». Pour ce que pouvait en juger Samain, l’étranger aurait mieux fait d’écrire des feuilletons, il avait tout à fait le style pour. Elle se sentait agréablement assoupie. Ces histoires de soulèvement l’ennuyaient plus qu’autre chose. Ca ne la concernait pas, et ça lui rappelait son rêve de la nuit dernière. D’ailleurs, il n’y avait pas trop de vent, et serrer sa nouvelle robe contre elle lui tenait chaud. Sans trop y penser, Samain s’endormit.
Au début, elle crût qu’elle était endormie pour de bon, et qu’elle était dans un de ses propres rêves. Mais elle s’aperçut que ce n’était pas le cas. Il y avait encore cette désagréable voix qui imprégnait tout l’atmosphère. La nuit était noire et humide. Samain pouvait cependant y voir clairement. Il y avait quatre personnes qui attendaient. Elles n’avaient pas pris la peine de se cacher, elles occupaient fièrement milieu de la rue. Samain se colla contre un mur, essayant de faire le moins de bruit possible. Elle devait trouver un seuil. Mais elle ne voyait ni porte, ni fenêtre, ni rien. Le mur de la main était plein et vide comme un décor de théâtre. La rue occupait le devant de la scène, étrangement nette dans cette nuit d’encre. Et au centre, les formes de ces quatre personnes qui attendaient. L’un deux sortit sa montre, et Samain entendit : « A trois heures juste ». A ce moment là, une autre personne arriva. C’était un enfant, ou un jeune homme. Un peu plus âgé de Samain, peut-être. Etrangement, son apparence ne fluctuait pas, comme si le rêveur avait une conscience précise de la personne qui occupait ce rôle. Comme s’il l’avait décidé. Ce qui était étrange, vu que normalement, même l’apparence du rêveur fluctuait. En tous cas, Samain n’avait encore jamais vu le clair visage de quelqu’un dans un rêve. Elle ne voyait que les silhouettes vagues des quatre personnes, mais elle était sûre que leurs visages ne fluctuaient pas non plus. Ca n’aurait pas dû être. Il fallait que Samain s’enfuie. Le jeune homme portait un panier qui semblait lourd. Il s’adressa aux autres figures, mais Samain ne pouvait pas entendre ses paroles. Il devait bien y avoir une issue. La voix était là, tordant le rêve sous ses martellements. Elle dictait ses ordres. Le jeune homme devait déposer ses paquets, ce qu’il fit. Il devait s’approcher. Ce qu’il fit. La lame illumina un instant la nuit d’encre. Le jeune homme s’écroula. Samain voyait son sang s’écouler entre les pavés, vers elle. Elle avait déjà fait ce rêve là. Juste après l’autre. Elle savait ce qui allait se passer. La voix cracha de nouveau ses ordres. Et deux des silhouettes apportèrent quelque chose au milieu de la rue. Un corps. Non. Un homme inconscient. Samain voyait briller les galons de son uniforme. Lui non plus ne fluctuait pas. Il avait les traits mous et fatigués. Des lèvres trop pâles, et quand il ouvrit les yeux, ceux-ci balayèrent la rue sans rien voir. Mais Samain voyait bien le corps devant lui. Et elle entendait les cris. Et quand lafoulle arriverait, elle trouverait un détective de la police debout devant le cadavre d’un enfant feren, le couteau ayant servi au crime encore à la main. Samain pouvait entendre des accents de triomphe dans la voix. Elle savait aussi exactement ce qu’il y avait dans le panier. Et que ce n’était que le début. Et avec une certitude glaçante, elle sut que la Voix l’avait trouvée.

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