mardi 11 novembre 2008

Seuils (partie 7)

L’escouade était en train de quitter la rue du point du jour. Ils étaient presque arrivés. Il fallait encore remonter l’avenue sur toute sa longueur en longeant la seconde moitié des rails et prendre la fin de la rue de la Marioule. Autant dire presque rien au regard du parcours total. Mais la foule se faisait plus compacte. Les férens se massaient, comme s’ils attendaient quelque chose. Le chef de patrouille les avait sommés de s’écarter. Ils n’avaient pas bougé. Hervann nota que la foule était maintenant essentiellement composée de férens âgés. Il n’y avait aucun enfant parmi eux, et très peu de jeunes adultes. Les cris épars et les insultes avaient fait place à un silence de mort. Et les férens continuaient à dévisager les membres de la patrouille tout en se massant au centre de la rue, les empêchant d’aller plus avant. Les choses s'emballèrent quand le clocher de la place aux ânes commença à sonner les douze coups de minuit. Le chef de patrouille voulut repousser le féren le plus proche de lui avec son bâton. Hervann et Théophile, qui marchaient juste derrière lui, l’attrapèrent chacun par un bras en une tentative désespérée pour le retenir. Il commença à se débattre. Les pieds d’Hervann dérapaient sur les pavés, il lui était impossible d’assurer sa prise. Il cria au vieux féren de se mettre à l’abri, mais il ne bougea pas. Soudain, le poing gauche du chef surgit juste devant le visage d’Hervann et percuta son œil droit, l'envoyant rouler à terre. Sa tête cogna durement le sol. Il eût un instant l’impression que l’intérieur de son crâne explosait, avant de comprendre qu’en réalité, c’était le monde qui partait en morceaux. Ses oreilles tintaient, et il n’était pas vraiment sûr de savoir où se situait le haut. Les gens criaient. Les gouttes de pluie étaient devenues acérées et frappaient le sol avec un son cristallin. Hervann sentit quelqu’un tomber à côté de lui avec un bruit mou de chiffon. Tant bien que mal, il arriva à se relever. La plupart des ferens et des membres de l’escouade étaient à terre. Des morceaux de verre jonchaient le sol. Hervann esquissa quelques pas tremblants pour s’approcher du coin de la rue. C’était un spectacle étrange. La mine, tout en bas, était illuminée de trainées oranges et jaunes, qui déchiraient le ciel nocturne. La corne ne tarda pas à retentir, appelant les volontaires pour juguler l’incendie. Les fenêtres avaient été soufflées sur toute la longueur de l’avenue, et sans doute dans les rues adjacentes. D’autres langues de flammes apparaissent, plus proches. Hervann baissa les yeux et s’aperçu que les rails du ferry étaient désormais tordus. Ils s’étaient soulevés des pavés comme des serpents en colère, et se retrouvaient maintenant figés en plein mouvement. Des bougies s’allumaient derrière les fenêtres. Des portes claquaient, des gens se précipitaient jusqu’aux réservoirs d’eau, et Hervann se sentait juste incapable de comprendre ce qui s’était passé. Toujours tremblant, il commença à avancer dans l’avenue, puis se mit tant bien que mal à courir.

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